** Traduction **
RÈpertoriÈ:
Frank Willis Service Centres Ltd. c. Canada (ministre du
Revenu national - M.R.N.)
Frank Willis Service Centres Limited, Appelante
c. Le ministre du Revenu national, IntimÈ
[1992] A.C.I. no 454
[1992] T.C.J. No. 454
No du greffe 90-3591(IT)
Cour canadienne de l'impÙt
London (Ontario)
Bonner J.C.I.
Entendu: les 23 et 24 juin 1992
Rendu: le 25 juin 1992
(9 pp.)
ImpÙt sur le revenu -- SociÈtÈs et actionnaires -- SociÈtÈ ‡ cent pour cent -- Savoir si la sociÈtÈ est la propriÈtaire bÈnÈficiaire du bien.
La sociÈtÈ a fait appel ‡ l'encontre d'une cotisation Ètablie par le Ministre sur le gain en capital rÈalisÈ par la sociÈtÈ lors de la vente d'un bien. La contribuable a fait appel ‡ la Cour canadienne de l'impÙt disant qu'elle n'Ètait pas la propriÈtaire bÈnÈficiaire du bien ayant fait l'objet de la disposition parce que l'actionnaire majoritaire de la sociÈtÈ avait donnÈ ordre ‡ son procureur, au moment de l'acquisition du bien, de mettre le bien ‡ son nom et ‡ celui de sa conjointe.
ARR T: Appel rejetÈ. La Cour a conclu que la sociÈtÈ Ètait la propriÈtaire bÈnÈficiaire selon la prÈpondÈrance des probabilitÈs, bien que l'actionnaire majoritaire ait tÈmoignÈ que le procureur n'avait pas suivi ses directives au moment de l'acquisition du bien, et bien qu'il ait ÈtÈ suggÈrÈ que la contribuable n'avait pas versÈ une partie quelconque du prix d'achat quand le bien avait ÈtÈ mis ‡ son nom. La cotisation s'avÈrait donc juste en ce qui concerne le gain en capital rÈalisÈ ‡ la vente du bien.
Lois, rËglements et rËgles citÈs:
Loi de l'impÙt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63.
R.G. Colautti, pour l'appelante.
J. Tremblay, pour l'intimÈ.
BONNER J.C.I. (Oralement):-- Il s'agit d'un appel interjetÈ ‡ l'encontre d'une cotisation applicable ‡ l'annÈe d'imposition 1988 de la corporation appelante. Dans la cotisation, l'intimÈ a inclu dans le revenu de l'appelante un gain en capital imposable qui, d'aprËs lui, avait ÈtÈ rÈalisÈ lors de la disposition d'un bien, une station-service situÈe ‡ Windsor (Ontario). Pour Ètablir cette cotisation, l'intimÈ s'est fondÈ sur la conclusion ou la prÈsomption que l'appelante Ètait la propriÈtaire bÈnÈficiaire du bien ayant fait l'objet de la disposition. Cette conclusion a ÈtÈ contestÈe par l'appelante, qui a affirmÈ que le bien ne lui a jamais appartenu.
Le bien a ÈtÈ acquis aux termes d'un contrat de vente passÈ en date du 16 septembre 1976 entre M. Michael Bezaire, le vendeur, et M. Frank Willis, l'acheteur. Entre le moment o˘ l'achat a ÈtÈ conclu, en dÈcembre 1976, et la vente du bien en 1988, ce dernier a ÈtÈ utilisÈ et occupÈ par l'appelante comme emplacement de station-service pour automobiles. M. Frank Willis, actionnaire unique de l'appelante, a dÈclarÈ dans sa dÈposition qu'il voulait que ce bien lui serve de coussin; c'est pourquoi il avait donnÈ ordre ‡ son procureur, Me Arthur Weingarden, de mettre le bien ‡ son nom, Frank Willis, et ‡ celui de son Èpouse. Me Weingarden a confirmÈ dans son tÈmoignage avoir reÁu ces instructions, produisant ‡ l'appui de ses dires une photocopie des notes qu'il avait prises pendant la rencontre ® sa rencontre initiale avec M. Willis. Voici ce qu'indiquent ces notes :
[TRADUCTION]
"1. …tablir le titre au nom du mari et de l'Èpouse. 2. Cession-bail ‡ 12 p. 100 net net."
L'achat ayant ÈtÈ conclu, l'acte faisant de M. et Mme Willis les locataires conjoints fut enregistrÈ le 10 dÈcembre 1976. Deux hypothËques, l'une en faveur de Chobern Investments et l'autre en faveur de M. Clarence Bezaire, furent prises en charge lors de l'achat. Une troisiËme hypothËque fut acquittÈe ‡ la date de la conclusion du contrat ou vers cette date. Les fonds nÈcessaires ‡ la conclusion de la vente furent prÈlevÈs, d'aprËs le grand livre du compte en fiducie de Me Weingarden, sur les 13 153,35 $ dÈposÈs par M. Willis auprËs du cabinet.
M. Willis a donnÈ des renseignements dans sa dÈposition au sujet de l'origine des 13 153,35 $. Il a dÈclarÈ que cet argent venait d'un ou de plusieurs des trois comptes d'Èpargne qu'il dÈtenait avec son Èpouse. J'ai eu l'impression que le tÈmoignage de M. Willis sur ce point s'apparentait davantage ‡ une reconstruction des faits qui, ‡ ce qu'il croit maintenant, devaient s'Ítre produits qu'au souvenir des ÈvÈnements qui sont rÈellement passÈs, mais il se peut bien que M. Willis ait raison. Toutefois, la preuve n'a pas permis d'Ètablir si les fonds versÈs ‡ Me Weingarden avaient ÈtÈ ou non avancÈs par M. Willis ‡ la corporation appelante. Pendant l'exercice au cours duquel le bien a ÈtÈ acquis, la dette de l'appelante envers son actionnaire a augmentÈ de 12 416,84 $, montant qui ne diffËre pas beaucoup de celui qui a ÈtÈ versÈ au compte de fiducie du procureur. M. Willis a ÈtÈ dans l'incapacitÈ d'expliquer l'augmentation de la dette de la corporation envers son actionnaire, si ce n'est par la dÈclaration suivante, et je cite, [TRADUCTION] "il s'agissait probablement d'argent que j'ai remis dans la compagnie". L'appelante a omis de produire le grand livre gÈnÈral de la compagnie et n'a pas expliquÈ cette omission.
Me Weingarden a Ètabli un bail datÈ du 29 septembre 1976, par lequel M. et Mme Willis louaient le bien ‡ l'appelante. Selon la photocopie du bail produite en preuve, l'acte n'a ÈtÈ signÈ par aucune des parties. Aucun procËs-verbal de la corporation autorisant la conclusion du bail n'a ÈtÈ produit. Bien que M. Willis ait dÈclarÈ dans son tÈmoignage que, ‡ ce qu'il croyait, son Èpouse et lui-mÍme avaient signÈ le bail, ses souvenirs ont semblÈ vagues ‡ ce sujet. Aucune mention d'un bail quelconque ne figure dans la copie du rapport Ècrit envoyÈ par Me Weingarden ‡ M. Willis, qui a ÈtÈ produite en preuve. L'appelante n'a jamais payÈ de loyer, pas plus que M. Willis n'a dÈclarÈ de loyer reÁu dans ses dÈclarations de revenu. La preuve est bien loin de permettre d'Ètablir que l'appelante a occupÈ le bien pendant douze ans en qualitÈ de locataire.
Dans les Ètats financiers de l'appelante ‡ compter de ceux de l'exercice se terminant le 30 avril 1977, le terrain et l'immeuble sont prÈsentÈs comme faisant partie des immobilisations de l'appelante. L'avocat de cette derniËre a dÈclarÈ qu'il s'agissait d'une erreur. Les Ètats financiers de 1977 et 1978 ont ÈtÈ dressÈs par M. Cox, teneur de livres. M. Cox n'a pas ÈtÈ invitÈ ‡ tÈmoigner; pourtant, il ne nous a pas ÈtÈ indiquÈ que M. Cox Ètait indisponible. Ce dÈfaut de produire un tÈmoin est un ÈlÈment important ‡ retenir contre l'appelante, ‡ laquelle il incombe d'Ètablir que, selon la prÈpondÈrance des probabilitÈs, elle n'Ètait pas la propriÈtaire bÈnÈficiaire du bien.
Dans ses dÈclarations de revenu pour 1977 et toutes les annÈes ultÈrieures jusqu'‡ 1978 [sic], date ‡ laquelle la dÈclaration des rÈsultats a ÈtÈ retraitÈe, l'appelante a constamment demandÈ et obtenu des dÈductions pour amortissement ‡ l'Ègard du co˚t de l'immeuble et des ajouts ‡ celui-ci. Elle a payÈ et dÈduit la mÍme annÈe tous les travaux de rÈparation et d'entretien, les impÙts et les intÈrÍts hypothÈcaires relatifs au bien.
Nous avons entendu la dÈposition de M. Peter Roth, comptable agrÈÈ, qui avait pris en charge en 1978 la prÈparation des Ètats financiers et des dÈclarations de revenu de l'appelante, t‚che effectuÈe jusque-l‡ par M. Cox. Selon son tÈmoignage, M. Cox ne s'Ètait aperÁu qu'en 1980 du fait que l'appelante avait peut-Ítre ÈtÈ prÈsentÈe ‡ tort dans les Ètats financiers comme la propriÈtaire du bien. La question Ètait apparue lorsque, M. Roth Ètant en train d'examiner les Ètats avec M. Willis, ce dernier avait dÈclarÈ ne pas pouvoir comprendre pour quelle raison le bien figurait ‡ titre d'actif dans les registres de la compagnie. M. Roth a affirmÈ dans son tÈmoignage qu'il ne disposait d'aucune preuve documentaire ‡ l'appui de l'affirmation de propriÈtÈ de M. Willis, que les rÈpercussions fiscales du statu quo n'Ètaient pas sensiblement diffÈrentes et que la correction des registres financiers imposerait un fardeau financier ‡ M. Willis, de sorte que les mÈthodes de dÈclaration antÈrieures avaient ÈtÈ maintenues jusqu'‡ la disposition du bien, bien des annÈes plus tard.
Cette explication, si elle correspond ‡ la rÈalitÈ, est un stupÈfiant aveu d'irresponsabilitÈ de la part d'un comptable agrÈÈ. Je m'arrÍte ici pour faire remarquer que la note 4 des Ètats financiers de 1988 de l'appelante (piËce A-22), indique notamment ce qui suit :
[TRADUCTION]
"Les chiffres comparatifs dÈclarÈs antÈrieurement dans les Ètats financiers de la compagnie pour l'exercice terminÈ le 30 avril 1987 ont ÈtÈ reformulÈs de maniËre ‡ Èliminer le terrain, l'immeuble et l'amortissement y affÈrent ainsi que l'hypothËque connexe payable, lesquels, lors de la vente de ces actifs, [...]"
et je souligne ces mots :
[TRADUCTION]
"[...] se sont rÈvÈlÈs appartenir ‡ l'actionnaire et ‡ son conjoint, et non ‡ la compagnie."
Cela amËne indubitablement ‡ remettre en question la version qui nous a ÈtÈ fournie, quant ‡ la maniËre dont la prÈtendue erreur aurait ÈtÈ dÈcouverte en 1980. Je considËre que les explications changeantes de M. Roth ne sont absolument pas crÈdibles et, ajouterais-je, qu'elles sont indignes d'un membre de sa profession.
Avant d'aborder l'argumentation de l'avocat, je ferai remarquer qu'un fardeau trËs lourd repose sur les Èpaules de ceux qui, lorsqu'ils y trouvent leur avantage, modifient leur version des faits et affirment que leurs dÈclarations antÈrieures Ètaient fausses. Je ne veux pas dire que le fardeau normal de la preuve, en fonction de la prÈpondÈrance des probabilitÈs, se trouve modifiÈ; je dis plutÙt que le tÈmoignage des personnes qui se conduisent ainsi est accueilli avec un scepticisme tout ‡ fait fondÈ. Je signale en outre la rËgle voulant que, en matiËre de preuve, le dÈfaut inexpliquÈ de produire un tÈmoin ou un document susceptible d'Èclairer les points en litige amËne ‡ prÈsumer que le tÈmoin ou le document en question aurait ÈtÈ prÈjudiciable ‡ la cause de la partie qui a omis de faire comparaÓtre le tÈmoin ou de produire le document. Je relËve ici que l'appelante, sur laquelle reposait le fardeau global de la preuve, a omis, et ce, sans raison valable : a) de produire les grands livres et les registres de la compagnie qui auraient permis d'expliquer l'augmentation de la dette de cette derniËre envers son actionnaire au cours de l'exercice 1977; b) de produire, s'il en existait, les procËs-verbaux de la compagnie autorisant la conclusion des baux et c) de faire comparaÓtre M. Cox.
L'avocat de l'appelante a fait valoir que, pour dÈterminer les obligations fiscales de la contribuable, la Cour devait admettre les consÈquences juridiques vÈritables des opÈrations qui avaient eu lieu, et non se fier ‡ des Ècritures comptables erronÈes. Je conviens que des Ècritures comptables erronÈes ne permettent pas, en soi, de fonder une obligation fiscale; nÈanmoins, dans le prÈsent contexte, il reste ‡ dÈterminer si les Ècritures comptables selon lesquelles l'appelante Ètait propriÈtaire bÈnÈficiaire du bien reflÈtaient fidËlement les faits ou non.
L'avocat a ensuite fait valoir que, dans les circonstances, il ne pouvait exister de fiducie par dÈduction au profit de la compagnie parce que les parties n'avaient pas l'intention commune, au moment de l'opÈration c'est-‡-dire au moment de l'achat du bien® de faire avancer les fonds par la compagnie ‡ titre d'acheteur du bien. ¿ cet Ègard, Me Colautti a insistÈ tout particuliËrement sur le tÈmoignage de Me Weingarden et de M. Willis au sujet de la discussion portant sur la maniËre d'Ètablir le titre de propriÈtÈ et de la dÈcision selon laquelle M. et Mme Willis devaient en Ítre les propriÈtaires. L'avocat a Ègalement affirmÈ que l'on ne pouvait conclure ‡ l'existence d'une fiducie par dÈduction parce que rien ne prouvait que la compagnie avait versÈ des fonds, une partie quelconque du prix d'achat.
¿ mon avis, la compagnie n'a pas rÈussi, d'aprËs la prÈpondÈrance des probabilitÈs, ‡ dÈmontrer qu'elle n'Ètait pas la propriÈtaire bÈnÈficiaire du bien. Je n'accorde pas une grande importance aux dÈclarations de M. Willis concernant son intention initiale, parce qu'elles vont ‡ l'encontre des renseignements qu'il a fournis dans ses dÈclarations de revenu pendant prËs de douze ans. Je ne considËre pas M. Willis comme la victime innocente et peu avertie de conseils comptables peu judicieux, qui ne comprenait pas qu'il fournissait des renseignements erronÈs lorsqu'il signait les dÈclarations de revenu de la compagnie.
Les instructions donnÈes initialement ‡ Me Weingarden au sujet du titre de propriÈtÈ ne sont que cela : il s'agit d'instructions concernant la maniËre dont le titre de propriÈtÈ devait Ítre Ètabli sur le plan juridique. Le propriÈtaire en common law et le propriÈtaire bÈnÈficiaire ne sont pas obligatoirement une seule et mÍme personne. Il n'a certainement pas ÈtÈ dÈmontrÈ que la compagnie n'avait pas avancÈ les 13 153,35 $ dont elle avait besoin pour conclure l'achat.
Il est significatif qu'on n'ait pu produire de bail signÈ et que Me Weingarden n'ait fait aucune mention d'un bail dans son rapport Ècrit. Il n'existait vraisemblablement pas de bail parce que l'appelante Ètait censÈe occuper le bien en tant que propriÈtaire bÈnÈficiaire. Les ÈlÈments de preuve qui sont fiables cadrent avec la conclusion selon laquelle, au moment o˘ l'achat a ÈtÈ conclu, il avait ÈtÈ dÈcidÈ que l'appelante achËterait, dÈtiendrait et occuperait le bien ‡ l'aide de fonds empruntÈs ‡ M. Willis afin de payer les dÈpenses initiales.
En consÈquence, je ne puis conclure que l'appelante n'Ètait pas dËs le dÈpart la propriÈtaire bÈnÈficiaire du bien.
Aucune question d'irrecevabilitÈ ne se pose donc, car il n'a pas ÈtÈ dÈmontrÈ que l'appelante avait prÈsentÈ les faits de maniËre erronÈe lorsqu'elle avait affirmÈ Ítre propriÈtaire du bien.
Pour les motifs exposÈs prÈcÈdemment, l'appel est rejetÈ.