RÈpertoriÈ:

Bande indienne de Batchewana (Membres non-rÈsidents) c. Bande

 indienne de Batchewana (1re inst.)

 

 

John Corbiere, Charlotte Syrette, Claire Robinson, Frank

Nolan, en leur nom personnel et au nom de tous les membres

non-rÈsidents de la bande de Batchewana (demandeurs)

c.

Sa MajestÈ la Reine reprÈsentÈe par le ministre des Affaires

indiennes et du Nord canadien et le procureur gÈnÈral du

Canada, et la bande indienne de Batchewana (dÈfendeurs)

 

[1994] 1 C.F. 394

 

[1993] A.C.F. no 896

 

No du greffe T-3038-90

 

 

 Cour fÈdÈrale du Canada - Section de premiËre instance

 

le juge Strayer

 

Entendu: Sault Ste-Marie, Ontario, les 17, 18, 19, 20, et

 21 mai 1993.

 Rendu: Ottawa, le 9 septembre 1993.

 

Peuples autochtones -- …lections -- L'art. 77(1) de la Loi sur les Indiens, qui rend les membres de la bande qui ne rÈsident pas ordinairement sur la rÈserve inhabiles ‡ voter aux Èlections de la bande indienne de Batchewana contrevient ‡ l'art. 15 de la Charte -- Il y atteinte aux droits des membres non-rÈsidents parce qu'ils ne peuvent voter sur l'emploi ou l'aliÈnation des terres de rÈserve ou de l'argent des Indiens bien s'ils soient toujours membres de la bande et touchÈs par les dÈcisions prises ‡ cet Ègard.

 

 Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Droits ‡ l'ÈgalitÈ -- L'art. 77(1) de la Loi sur les Indiens, qui rend les membres de la bande qui ne rÈsident pas ordinairement sur la rÈserve inhabiles ‡ voter aux Èlections de la bande indienne de Batchewana, contrevient ‡ l'art. 15 de la Charte -- Conclusion de fait portant que les membres de la bande indienne de Batchewana ne rÈsidant pas sur la rÈserve constituent traditionnellement un groupe dÈfavorisÈ en raison de leur incapacitÈ de s'Ètablir sur la rÈserve -- Jugement dÈclarant l'art. 77(1) de la Loi sur les Indiens invalide, son exÈcution Ètant toutefois suspendue jusqu'au 1er juillet 1994 afin de permettre au Parlement d'examiner les modifications ‡ apporter ‡ la Loi sur les Indiens.

 

 Pratique -- Parties -- QualitÈ pour agir -- Membres d'une bande indienne intentant une action en leur nom personnel et au nom de tous les membres ne rÈsidant pas ordinairement sur la rÈserve -- Il n'est pas nÈcessaire de prouver l'appui de toutes ces personnes -- Les demandeurs nommÈs peuvent intenter une action collective au nom d'une catÈgorie de membres d'une bande indienne pour faire trancher des questions constitutionnelles, dont celle des droits communs, mÍme en dÈpit de l'opposition expresse de certains membres de la catÈgorie.

 

En vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens, un membre d'une bande doit rÈsider ordinairement sur la rÈserve pour Ítre habile ‡ voter aux Èlections de la bande. Le RËglement sur les Èlections au sein des bandes d'Indiens et les rËglements administratifs de la bande indienne de Batchewana Ètablissent certains critËres permettant de dÈterminer si une personne "rÈside ordinairement" sur une rÈserve.

Les demandeurs cherchent ‡ obtenir un jugement dÈclarant que ces dispositions contreviennent ‡ l'article 15 et ‡ l'alinÈa 2d) de la Charte, et qu'elles ne s'appliquent pas aux Èlections tenues sous le rÈgime de la Loi sur les Indiens au sein de la bande de Batchewana; ils demandent enfin des ordonnances ayant pour effet d'accorder ou de rÈtablir le droit de vote ‡ tous les membres adultes de la bande, rÈsidents ou non.

En ce qui concerne la qualitÈ pour agir, il n'est pas nÈcessaire que les demandeurs prouvent qu'ils ont l'appui de tous les membres de la bande qui ne rÈsident pas ordinairement sur la rÈserve. Les demandeurs nommÈs peuvent intenter une action collective au nom d'une catÈgorie de membres d'une bande indienne pour faire trancher des questions constitutionnelles, dont celle des droits communs, mÍme lorsque certains membres de la catÈgorie s'y opposent expressÈment. Quoi qu'il en soit, vu les exigences souples entourant la qualitÈ pour intenter des actions dÈclaratoires en matiËre constitutionnelle et de droit public, les demandeurs ont qualitÈ pour demander les dÈclarations visÈes en l'espËce.

Il a ÈtÈ Ètabli qu'en 1991, 68 % des membres de la bande vivaient ‡ l'extÈrieur des rÈserves de la bande et que la majoritÈ de ceux qui voudraient y habiter ne pouvaient espÈrer le faire dans un proche avenir. Dans la plupart des cas, il leur faudrait des subventions gouvernementales, lesquelles sont accordÈes ‡ ceux qui sont choisis par le conseil de bande ou sous son contrÙle.

Les rÈserves en cause en l'espËce sont dÈtenues par Sa MajestÈ ‡ l'usage et au profit de la bande de Batchewana, laquelle, en vertu de la Loi, comprend tous les membres qu'ils rÈsident ou non dans la rÈserve.

Un membre de la bande ne peut Ítre lÈgalement en possession d'une terre dans la rÈserve que si la possession lui en a ÈtÈ accordÈe par le conseil de la bande, lequel est naturellement Èlu par ceux qui rÈsident dÈj‡ dans la rÈserve. Des terres de rÈserve ne peuvent Ítre cÈdÈes ‡ Sa MajestÈ ‡ moins que cette cession ne soit approuvÈe par une majoritÈ des Èlecteurs de la bande, les membres ne rÈsidant pas ordinairement sur la rÈserve Ètant inhabiles ‡ voter. N'ayant pas droit de vote, ces derniers ne peuvent non plus faire valoir leur opinion en ce qui touche l'emploi de l'argent des Indiens, mÍme si ces sommes doivent Ítre dÈpensÈes au profit de la bande.

Jugement: il y a lieu de prononcer un jugement dÈclaratoire portant que le paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens est invalide ‡ l'Ègard de la bande indienne de Batchewana, mais d'en suspendre l'exÈcution jusqu'au 1er juillet 1994, ‡ moins d'ordonnance contraire de la Cour.

Il y a discrimination: le refus d'accorder le droit de vote aux Èlections au conseil de bande ou ‡ des fins telles que l'approbation de la cession d'un intÈrÍt dans la rÈserve ou l'emploi de l'argent des Indiens a des rÈpercussions nÈgatives importantes sur ceux qui ne rÈsident pas ordinairement sur la rÈserve. N'ayant pas voix au chapitre pour ce qui est de l'Èlection du conseil de bande, ils ne peuvent exprimer leur avis sur le rythme auquel le conseil attribue des terres aux nouveaux venus dans la rÈserve ni sur la rÈpartition des sommes destinÈes ‡ l'habitation que le conseil obtient du gouvernement du Canada. En l'espËce, les membres de la bande qui ne rÈsident pas ordinairement sur l'une des rÈserves de la bande de Batchewana forment, de faÁon gÈnÈrale, un groupe qui a ÈtÈ historiquement dÈfavorisÈ du fait de leur incapacitÈ de s'Ètablir dans les rÈserves. Il s'agit, dans de nombreux cas, de personnes qui ont recouvrÈ leur statut d'Indiens gr‚ce au projet de loi C-31 aprËs s'Ítre vu historiquement priver de leur appartenance ‡ la bande (et donc de leur droit de vivre dans une rÈserve) du fait de leur sexe ou de leur race, leur mËre ayant ÈpousÈ un homme d'une autre race ou leurs parents ayant ÈtÈ obligÈs de renoncer ‡ leur statut d'Indiens afin de jouir des mÍmes droits que les Canadiens d'autres races. Une fois recouvrÈ le statut qu'ils avaient perdu en raison de dispositions fondÈes sur le sexe ou la race, ils constatent maintenant que la possibilitÈ de rÈsider dans une rÈserve leur est limitÈe.

La restriction du droit de vote aux membres qui rÈsident ordinairement sur la rÈserve est fondÈe sur une caractÈristique personnelle non pertinente lorsque ce droit de vote se rapporte ‡ la faÁon de disposer des terres et de l'argent des Indiens que dÈtient Sa MajestÈ ‡ l'usage et au profit de la bande, la bande incluant tous les membres et non seulement les rÈsidents de la rÈserve.

Il suffit de dÈclarer que, pour les fins dÈterminÈes, le paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte bien que son inconstitutionnalitÈ dÈcoule de son effet sur des dispositions tels l'alinÈa 39(1)b) et les paragraphes 64(1) et 66(1) de la Loi.

L'application du paragraphe 77(1) aux Èlections du conseil de bande aux fins d'Èlire un conseil chargÈ de l'administration courante de la rÈserve elle-mÍme ne contrevient pas au paragraphe 15(1) de la Charte. En ce qui concerne l'application du paragraphe 77(1) ayant pour rÈsultat d'empÍcher les membres de la bande qui ne rÈsident pas ordinairement sur une rÈserve d'exprimer leur opinion politique quant aux dÈcisions relatives ‡ la faÁon de disposer de la rÈserve elle-mÍme ou de l'"argent des Indiens", elle n'a aucune justification eu Ègard aux exigences de l'article premier.

Il n'y a pas lieu de se prononcer sur la question de savoir si le paragraphe 77(1) de la Loi porte atteinte ‡ la libertÈ des membres non-rÈsidents de s'associer avec les membres rÈsidents (alinÈa 2d) de la Charte).

Vu l'impossibilitÈ de dissocier les parties invalides du paragraphe 77(1), le jugement doit le dÈclarer invalide dans sa totalitÈ. Il s'agit toutefois d'un cas o˘ il y a lieu de suspendre l'effet du jugement dÈclaratoire-jusqu'au 1er juillet 1994-afin notamment de donner aux parties le temps de rÈagir et de permettre un examen parlementaire des modifications qu'il conviendrait d'apporter ‡ la Loi sur les Indiens.

 

Lois et rËglements

Charte canadienne des droits et libertÈs, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2d), 7, 15.

Loi modifiant la Loi sur les Indiens, S.C. 1985, ch. 27.

Loi sur la Cour fÈdÈrale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 57(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19).

Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29, art. 76.

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, art. 12(1)(b).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 1; (4e suppl.), ch. 17, art. 1), 4(3), 18(1), 20(1), 39(1) (mod., idem, art. 3), 61, 62, 63, 64(1) (mod. par L.R.C. (1985), (1er suppl.), ch. 32, art. 10), 64.1 (ÈdictÈ, idem, art. 11), 65, 66(1), 67, 68 (mod., idem, art. 13), 69, 74(1), 77 (mod., idem, art. 14), 81(1) (mod., idem, art. 15).

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 dÈcembre 1966, [1966] R.T. Can. no 47.

RËglement sur les Èlections au sein des bandes d'Indiens, C.R.C., ch. 952, art. 3.

 

Jurisprudence

DÈcisions appliquÈes:

Twinn c. Canada, [1987] 2 C.F. 450; (1986), 6 F.T.R. 138 (1re inst.);

Thorson c. Procureur gÈnÈral du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; (1974), 43 D.L.R. (3d) 1; 1 N.R. 225;

Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; (1981), 130 D.L.R. (3d) 588; [1982] 1 W.W.R. 97; 12 Sask. R. 420; 64 C.C.C. (2d) 97; 24 C.P.C. 62; 24 C.R. (3d) 352; 39 N.R. 331;

Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255;

(sur le report de l'entrÈe en vigueur d'un jugement dÈclaratoire):

Schachter c. Canada, [1988] 3 C.F. 515; (1988), 52 D.L.R. (4th) 525; 20 C.C.E.L. 301; 9 C.H.R.R. D/5320; 88 CLLC 14,021; 19 F.T.R. 199 (1re inst.); conf. par [1990] 2 C.F. 129; (1990), 66 D.L.R. (4th) 635; 29 C.C.E.L. 113; 90 CLLC 14,005; 34 F.T.R. 80; 108 N.R. 123; inf., pour d'autres motifs, par [1992] 2 R.C.S. 679; (1992), 93 D.L.R. (4th) 1; 92 CLLC 14,036; 10 C.R.R. (2d) 1; 139 N.R. 1;

Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; (1986), 33 D.L.R. (4th) 321; [1987] 1 W.W.R. 603; 23 Admin. L.R. 197; 17 C.P.C. (2d) 289; 71 N.R. 338.

Distinction faite avec:

(sur la technique de l'interprÈtation "attÈnuÈe"):

Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; (1992), 93 D.L.R. (4th) 1; 92 CLLC 14,036; 10 C.R.R. (2d) 1; 139 N.R. 1.

DÈcisions citÈes:

Bande indienne de Montana c. Canada, [1991] 2 C.F. 30; [1991] 2 C.N.L.R. 88; (1991), 120 N.R. 200 (C.A.);

R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 39 C.R.R. 306; 96 N.R. 115; 34 O.A.C. 115;

R. c. S.(S.), [1990] 2 R.C.S. 254; (1990), 57 C.C.C. (3d) 115; 77 C.R. (3d) 273; 49 C.R.R. 79; 110 N.R. 321; 41 O.A.C. 81;

Lovelace c. Canada (1983), 1 Annuaire Can. Droits de la personne 305 (C.D.H.N.U.);

Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; (1985), 19 D.L.R. (4th) 1; [1985] 4 W.W.R. 385; 35 Man. R. (2d) 83; 59 N.R. 321;

R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190; (1990), 104 A.R. 124; [1990] 2 W.W.R. 220; 71 Alta. L.R. (2d) 145; 53 C.C.C. (3d) 330; 74 C.R. (3d) 129; 46 C.R.R. 236; 103 N.R. 282;

R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; (1991), 75 O.R. (2d) 388; 71 D.L.R. (4th) 551; 63 C.C.C. (3d) 481; 5 C.R. (4th) 253; 3 C.R.R. (2d) 1; 125 N.R. 1; 47 O.A.C. 81.

 

REQU TE en vue d'obtenir un jugement dÈclaratoire portant qu'eu Ègard aux circonstances de l'espËce, certains articles de la Loi sur les Indiens, du RËglement sur les Èlections au sein des bandes d'Indiens et de certains rËglements administratifs de la bande indienne de Batchewana restreignant le droit de vote aux membres de la bande qui rÈsident ordinairement sur la rÈserve contreviennent ‡ l'article 15, ‡ l'alinÈa 2d) et ‡ l'article 7 de la Charte. Il est dÈclarÈ que le paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte eu Ègard aux circonstances de l'espËce. L'entrÈe en vigueur du jugement dÈclaratoire est reportÈe au 1er juillet 1994.

 

Avocats:

Raymond G. Colautti et Gregory A. Campbell pour les demandeurs.

John B. Edmond pour la dÈfenderesse Sa MajestÈ la Reine.

 

Procureurs:

Paroian, Raphael, Courey, Cohen & Houston, Windsor (Ontario), pour les demandeurs.

Le sous-procureur gÈnÈral du Canada, pour la dÈfenderesse Sa MajestÈ la Reine.

Lang Michener, Toronto, pour la dÈfenderesse la bande indienne de Batchewana.

 

 

 

 

Ce qui suit est la version franÁaise des motifs du jugement rendus par

LE JUGE STRAYER:--

Redressement demandÈ

1     Les demandeurs sont tous membres de la bande indienne de Batchewana. Le demandeur Corbiere rÈside sur la rÈserve 15D de Rankin, qui appartient ‡ la bande de Batchewana. Les autres demandeurs rÈsident ‡ l'extÈrieur de la rÈserve. Dans leur dÈclaration, ils demandent ‡ la Cour de rendre un jugement dÈclaratoire portant que, [Traduction] "eu Ègard aux circonstances de l'espËce", certains articles de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5], du RËglement sur les Èlections au sein des bandes d'Indiens [C.R.C., ch. 952] et de certains rËglements administratifs de la bande indienne de Batchewana contreviennent ‡ l'article 15, ‡ l'alinÈa 2d) et ‡ l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertÈs [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]; ils demandent Ègalement ‡ la Cour de dÈclarer que ces dispositions, qui portent qu'un membre de la bande doit rÈsider ordinairement sur la rÈserve pour Ítre habile ‡ voter aux Èlections de la bande, ne s'appliquent pas aux Èlections tenues sous le rÈgime de la Loi sur les Indiens au sein de la bande indienne de Batchewana; ils lui demandent de prononcer des ordonnances ayant pour effet d'accorder ou de rÈtablir le droit de vote ‡ tous les membres adultes de la bande, rÈsidents ou non; ils concluent enfin ‡ une ordonnance annulant le rÈsultat de toute Èlection tenue aprËs le dÈpÙt de la dÈclaration, le 19 novembre 1990, le tout avec dÈpens.

2     Au cours des dÈbats, l'avocat des demandeurs a abandonnÈ le moyen fondÈ sur l'article 7 de la Charte et il a Ègalement retirÈ la demande d'ordonnance visant l'annulation de la derniËre Èlection tenue, si je ne m'abuse, en dÈcembre 1990.

Les faits

3     La dÈfenderesse, la bande indienne de Batchewana, n'a pas pris part ‡ l'instruction de la prÈsente action. Le renvoi aux "dÈfendeurs" sera donc un renvoi ‡ Sa MajestÈ la Reine et aux deux ministres nommÈs en intitulÈ.

4     Avant d'analyser les faits, soulignons qu'‡ l'ouverture de l'instruction, l'avocat des demandeurs a attirÈ l'attention de la Cour sur le fait que ceux-ci n'avaient pas fait signifier au procureur gÈnÈral de chaque province l'avis de dÈbat d'une question constitutionnelle requis par le paragraphe 57(1) de la Loi sur la Cour fÈdÈrale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19)], disposition dont il n'avait pris connaissance que rÈcemment. Ce paragraphe exige en effet la signification d'un tel avis au moins dix jours avant la date ‡ laquelle une question constitutionnelle doit Ítre dÈbattue. Le 17 mai 1993, soit le premier jour du procËs, j'ai demandÈ ‡ l'avocat de signifier ‡ chacun des procureurs gÈnÈraux des provinces un avis les priant d'aviser la Cour avant le 1er juin 1993 de leur intention de participer au dÈbat. Le cas ÈchÈant, ils recevraient une transcription de la preuve et des dÈbats et auraient l'occasion de prÈsenter leur argumentation et leur preuve ‡ la Cour, avec le concours, naturellement, des parties. ¿ mon avis, cela satisfaisait aux exigences de l'article 57, lequel porte que les lois ou les rËglements "ne peuvent Ítre dÈclarÈs invalides" jusqu'‡ ce qu'avis ait ainsi ÈtÈ donnÈ. L'avis ayant ÈtÈ donnÈ et aucun procureur gÈnÈral n'ayant manifestÈ d'intÈrÍt ‡ l'Ègard de la prÈsente espËce, je puis donc dËs lors procÈder au jugement.

5     MalgrÈ les exemples que contient la dÈclaration quant ‡ certains membres de la bande qui, ne rÈsidant pas sur la rÈserve, ont dans le passÈ ÈtÈ autorisÈs ‡ voter mÍme aprËs l'interdiction dÈcrÈtÈe par la Loi sur les Indiens, l'avocat a expliquÈ qu'il ne cherchait pas ainsi ‡ prÈtendre que leur droit de vote dÈcoulait aujourd'hui d'une certaine fin de non-recevoir.

6     L'avocat des dÈfendeurs a soutenu qu'Ètant donnÈ qu'au paragraphe 6 de la dÈclaration les demandeurs disent intenter l'action,

 

                 [Traduction] . . . au nom de tous les membres de la bande indienne de Batchewana qui ne rÈsident pas ordinairement sur l'une des rÈserves mises de cÙtÈ pour la bande,

les demandeurs doivent prouver qu'ils ont l'appui de toutes ces personnes. Cette preuve n'a manifestement pas ÈtÈ Ètablie en l'espËce. L'avocat des dÈfendeurs n'ayant pas citÈ de jurisprudence ‡ l'appui de sa prÈtention, je ne suis pas convaincu, faute d'autre source, que tel soit le droit. J'ai dÈcidÈ dans un autre arrÍt1 que les demandeurs nommÈs peuvent intenter une action collective au nom d'une catÈgorie de membres d'une bande indienne pour faire trancher des questions constitutionnelles, dont celle des droits communs, mÍme lorsque certains membres de la catÈgorie s'opposent expressÈment ‡ l'action. Quoi qu'il en soit, les demandeurs disent, dans le mÍme paragraphe de leur dÈclaration, intenter Ègalement l'action en leur nom personnel. Vu les exigences souples entourant la qualitÈ pour intenter des actions dÈclaratoires en matiËre constitutionnelle et de droit public en gÈnÈral2, je suis persuadÈ que les demandeurs auraient, ‡ titre personnel, qualitÈ pour demander les dÈclarations visÈes en l'espËce. En ce qui concerne le demandeur John Corbiere, qui a quant ‡ lui droit de vote aux Èlections de la bande indienne de Batchewana, sa qualitÈ pour agir a dÈj‡ fait l'objet d'une dÈcision du juge Joyal, en date du 18 fÈvrier 1991 [[1992] 2 C.N.L.R. 31], dÈcision qui n'a pas ÈtÈ portÈe en appel.

7     Une preuve dÈtaillÈe a ÈtÈ soumise, en particulier dans l'exposÈ conjoint des faits, quant ‡ l'histoire de la bande, ses terres de rÈserve, son processus Èlectoral et la rÈpartition de ses membres entre ceux qui rÈsident sur les rÈserves et ceux qui n'y rÈsident pas. Voici un rÈsumÈ des faits qui m'apparaissent pertinents.

Histoire de la bande indienne de Batchewana: Terres, population et processus Èlectoral

8     L'un des traits marquants de l'histoire de cette bande est que, pour la majeure partie de la pÈriode postÈrieure aux traitÈs, celle-ci n'a pas eu de territoire sur lequel ses membres pouvaient habiter en grand nombre. Traditionnellement, elle occupait une rÈgion situÈe sur la rive est du Lac SupÈrieur, au nord de la ville actuelle de Sault Ste-Marie. En 1850, la bande a conclu avec Sa MajestÈ le TraitÈ Robinson-Huron par lequel elle cÈdait la majeure partie de cette terre en Èchange, notamment, d'une rÈserve de 246 milles carrÈs. En 1859, par le TraitÈ Pennefather, elle cÈdait la totalitÈ de cette rÈserve ‡ l'exception de la petite Óle Whitefish de la riviËre St. Mary, ‡ Sault Ste-Marie. Pendant les vingt annÈes qui ont suivi, la bande avait pour seul territoire l'Óle Whitefish. ¿ partir de 1879, de petites rÈserves ont ÈtÈ achetÈes pour la bande mais celles-ci n'ont pas attirÈ d'Ètablissement majeur. Jusqu'‡ 1952, un certain nombre de membres de la bande vivaient sur la rÈserve de Garden River, laquelle n'appartenait pas ‡ la bande mais dont elle pouvait faire usage en vertu du TraitÈ Pennefather. Enfin en 1952, une rÈserve importante de 3 763,9 acres a ÈtÈ Ètablie pour elle ‡ Rankin Location, tout prËs de Sault Ste-Marie. Depuis cette date, la rÈserve s'est dÈveloppÈe et c'est apparemment l'endroit o˘ l'on retrouve le plus grand nombre de membres de la bande. Une autre petite rÈserve a ÈtÈ Ètablie en 1962 ‡ la baie de Batchewana.

9     Pendant la majeure partie de la pÈriode ÈcoulÈe depuis 1850, la majoritÈ des membres de la bande n'ont pas vÈcu sur des rÈserves de cette bande. En 1953, soit un an aprËs l'Ètablissement de la rÈserve de Rankin, seulement 34 % des membres vivaient sur des rÈserves de la bande3. En raison largement d'un ambitieux programme de logement dans la rÈserve de Rankin, la situation s'Ètait inversÈe en 1980: 66,5 % des membres habitaient alors sur des rÈserves de la bande. En 1985, cette proportion avait atteint prËs de 69 %. Par la suite toutefois, la situation s'est ‡ nouveau inversÈe du fait d'une augmentation rapide du nombre de membres, la plupart des nouveaux venus rÈsidant ‡ l'extÈrieur de la rÈserve4. Cette augmentation rapide, cela n'est pas contestÈ, rÈsulte des modifications apportÈes en 1985 ‡ la Loi sur les Indiens5 (projet de loi C-31), lesquelles ont rÈtabli l'admissibilitÈ au sein des bandes de nombreux Indiens qui avaient antÈrieurement perdu leur statut. Selon les statistiques fournies par les dÈfendeurs, sur les 678 nouveaux membres enregistrÈs entre 1985 et 1989, 574 l'ont ÈtÈ en raison du projet de loi C-316. La plupart des Indiens ayant ainsi recouvrÈ leur appartenance ‡ une bande Ètaient des femmes et leurs enfants ayant perdu leur statut ‡ cause de leur mariage avec des non-Indiens. Certains Ègalement ont recouvrÈ le statut qu'ils avaient perdu du fait qu'eux-mÍmes ou leurs parents s'Ètaient volontairement "ÈmancipÈs". Ainsi, l'un des demandeurs en l'espËce, Frank Nolan, a recouvrÈ le statut d'Indien que son pËre avait perdu en s'Èmancipant en 1928. Cette croissance rapide du nombre de membres de la bande a eu le rÈsultat suivant: bien qu'en 1985 environ 69 % des membres vivaient sur des rÈserves de la bande, la situation Ètait presque exactement l'inverse en 1991, avec 68 % des membres habitant ‡ l'extÈrieur des rÈserves. Pendant cette pÈriode, le nombre total de membres de la bande est passÈ de 543 ‡ 1 426.

10     Il est Èvident que la majoritÈ des membres rÈsidant ‡ l'extÈrieur des rÈserves de la bande et qui voudraient y habiter ne peuvent espÈrer rÈaliser leur projet ‡ court terme. Dans la plupart des cas il leur faudrait des subventions gouvernementales, lesquelles sont accordÈes ‡ ceux qui sont choisis par le conseil de bande ou sous son contrÙle. De 1952, annÈe o˘ la bande a obtenu la rÈserve de Rankin et partant, une assise territoriale importante, jusqu'‡ 1985, annÈe de l'adoption du projet de loi C-31, l'implantation d'un programme de logement assez vigoureux avait portÈ ‡ 386 le nombre de membres vivant dans des rÈserves de la bande. Entre 1985 et 1991, la population des rÈserves s'est accrue de seulement 68 personnes, alors que la population ‡ l'extÈrieur des rÈserves a augmentÈ de 730 personnes (soit une moyenne annuelle de plus de 121 personnes). Selon le programme de logements subventionnÈs sur les rÈserves prÈsentÈ en preuve pour l'annÈe 19927, 21 unitÈs Ètaient en construction, dont 16 Ètaient destinÈes ‡ des non-rÈsidents. ¿ ce rythme, il faudra plusieurs annÈes avant que les membres qui veulent vivre sur la rÈserve soient en mesure de le faire, si tant est qu'ils le puissent un jour. Deux des demandeurs non-rÈsidents nommÈs dans la prÈsente instance ont tÈmoignÈ, et ni l'un ni l'autre n'ont indiquÈ clairement leur intention de vivre dans la rÈserve. Deux autres membres non-rÈsidents ont dÈclarÈ qu'ils aimeraient vivre dans la rÈserve mais qu'ils Ètaient dans l'incapacitÈ de le faire faute de ressources personnelles ou de subventions de la bande. On peut lÈgitimement en dÈduire, ‡ mon avis, que les membres non-rÈsidents au nom desquels la prÈsente action est intentÈe sont nombreux ‡ faire face ‡ ces problËmes et qu'‡ toutes fins utiles ils n'auront pas accËs avant longtemps ‡ un logement dans la rÈserve.

11     Depuis 1899, les Èlections au sein du conseil de la bande de Batchewana se tiennent en conformitÈ avec la Loi sur les Indiens. ¿ cette Èpoque, la Loi n'exigeait pas que les membres rÈsident sur une rÈserve pour avoir droit d'Èlire le conseil de la bande et, a-t-on admis, les non-rÈsidents ont, pendant plusieurs dÈcennies, pu voter librement. En 1951, la Loi sur les Indiens a ÈtÈ modifiÈe8 de faÁon ‡ exiger que les membres de la bande "rÈsident ordinairement sur la rÈserve" pour avoir droit de vote. Dans un dÈcret pris cette mÍme annÈe, la bande de Batchewana Ètait dÈsignÈe comme l'une de celles o˘ les Èlections devaient se tenir conformÈment ‡ la Loi sur les Indiens9. Il semble y avoir eu par la suite un certain laxisme dans l'application de cette exigence, comme le dÈmontre le fait que le ministËre des Affaires indiennes permettait l'Ètablissement de bureaux de scrutin ‡ l'extÈrieur de la rÈserve. Il est clair, toutefois, qu'‡ partir de 1962 le MinistËre a adoptÈ une position ferme, ‡ savoir que les membres de la bande rÈsidant ordinairement ‡ l'extÈrieur de la rÈserve n'avaient pas droit de vote. Cette position visait mÍme les membres de la bande rÈsidant sur une rÈserve, soit la rÈserve de Garden River (o˘ certains membres de la bande de Batchewana avaient ÈtÈ logÈs depuis le TraitÈ Pennefather), parce que ceux-ci ne rÈsidaient pas sur une rÈserve de la bande de Batchewana. La preuve indique que cette situation a suscitÈ quelques protestations, dont une pÈtition qu'ont signÈe environ 135 membres de la bande en 1988 pour demander au MinistËre de "rÈtablir" le droit de vote des non-rÈsidents. Le MinistËre a rejetÈ la pÈtition en se fondant sur les exigences de l'actuel article 77 de la Loi sur les Indiens quant ‡ la rÈsidence ordinaire sur une rÈserve de la bande, et il a niÈ tout "droit traditionnel" des membres rÈsidant ‡ l'extÈrieur de la rÈserve de voter pour Èlire le conseil de bande. Pour des raisons analogues, le MinistËre a rejetÈ un "appel" interjetÈ contre l'Èlection de 1988 (vraisemblablement une requÍte au gouverneur en conseil demandant l'annulation du scrutin) par deux des demandeurs actuels (Charlotte Syrette et Claire Robinson). La prÈsente instance a ÈtÈ instituÈe avant l'Èlection tenue le 10 dÈcembre 1990, Èlection pour laquelle l'exigence de la rÈsidence a de nouveau ÈtÈ appliquÈe suivant l'article 77 de la Loi sur les Indiens.

12     Il importe de souligner, avant de terminer cet historique du processus Èlectoral, que les demandeurs ont, ‡ l'instar d'autres personnes, prÈconisÈ la prise d'un dÈcret afin que soit rayÈ le nom de la bande de Batchewana de la liste des bandes dont les Èlections doivent, en vertu du dÈcret applicable, Ítre tenues selon la Loi sur les Indiens10. Les partisans de ce changement sont apparemment d'avis que puisqu'il en rÈsulterait l'application de la coutume, celle-ci permettrait aux membres non-rÈsidents de voter ‡ l'Èlection du conseil de bande. Le ministËre des Affaires indiennes et du Nord a adoptÈ une politique, dont la teneur n'est pas contestÈe11, selon laquelle le ministre ne prendra un tel dÈcret que si ceux qui, ‡ l'heure actuelle, ont le droit de vote en dÈcident ainsi. Une demande en ce sens doit Ítre appuyÈe, entre autres, par une rÈsolution du conseil de bande, lequel est Èvidemment Èlu exclusivement par les rÈsidents de la rÈserve. Ce changement doit Ègalement recevoir l'appui des membres de la bande, que le conseil peut choisir de rechercher par l'entremise d'un plÈbiscite ou d'une rÈunion publique ‡ l'occasion desquels seuls les "Èlecteurs" peuvent voter. Comme nous le verrons plus loin, un "Èlecteur" est, par dÈfinition, celui qui rÈside ordinairement sur la rÈserve. Ainsi, ceux qui sont aujourd'hui inhabiles ‡ voter parce que les Èlections sont tenues sous le rÈgime de la Loi sur les Indiens ne pourraient faire entendre leur voix pour demander le retour ‡ la coutume ou mÍme, semble-t-il, dÈfinir cette coutume.

Dispositions pertinentes de la Loi sur les Indiens

13     Les dÈfinitions suivantes figurent au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens12 :

 

2.            (1) . . .

 

                 "argent des Indiens" Les sommes d'argent perÁues, reÁues ou dÈtenues par Sa MajestÈ ‡ l'usage et au profit des Indiens ou des bandes.

. . .

 

                 "bande" Groupe d'Indiens, selon le cas:

 

a)            ‡ l'usage et au profit communs desquels des terres appartenant ‡ Sa MajestÈ ont ÈtÈ mises de cÙtÈ avant ou aprËs le 4 septembre 1951;

b)            ‡ l'usage et au profit communs desquels, Sa MajestÈ dÈtient des sommes d'argent;

c)            que le gouverneur en conseil a dÈclarÈ Ítre une bande pour l'application de la prÈsente loi.

. . .

 

                 "conseil de la bande"

 

a)            Dans le cas d'une bande ‡ laquelle s'applique l'article 74, le conseil constituÈ conformÈment ‡ cet article;

b)            dans le cas d'une bande ‡ laquelle l'article 74 n'est pas applicable, le conseil choisi selon la coutume de la bande ou, en l'absence d'un conseil, le chef de la bande choisi selon la coutume de celle-ci.

. . .

"Èlecteur" Personne qui remplit les conditions suivantes:

 

a)            Ítre inscrit sur une liste de bande;

b)            avoir dix-huit ans;

c)            ne pas avoir perdu son droit de vote aux Èlections de la bande.

. . .

 

                 "membre d'une bande" Personne dont le nom apparaÓt sur une liste de bande ou qui a droit ‡ ce que son nom y figure.

. . .

 

                 "rÈserve" Parcelle de terrain dont Sa MajestÈ est propriÈtaire et qu'elle a mise de cÙtÈ ‡ l'usage et au profit d'une bande; y sont assimilÈes les terres dÈsignÈes, sauf pour l'application du paragraphe 18(2), des articles 20 ‡ 25, 28, 36 ‡ 38, 42, 44, 46, 48 ‡ 51, 58 et 60, ou des rËglements pris sous leur rÈgime. [Je souligne.]

Soulignons que ces dispositions n'assujettissent l'appartenance ‡ une bande ‡ aucune exigence relative ‡ la rÈsidence. Chaque membre d'une bande, y compris les demandeurs, fait partie d'un "groupe d'Indiens" ‡ l'usage et au profit desquels Sa MajestÈ dÈtient des terres et des sommes d'argent. Il est admis que tous les demandeurs ont cette qualitÈ de membres, tout comme de nombreux autres non-rÈsidents des rÈserves de la bande dont la situation est identique ‡ celle des trois demandeurs non-rÈsidents.

14     En vertu du paragraphe 4(3) de la Loi sur les Indiens, certains articles ne s'appliquent ‡ aucun Indien ne rÈsidant pas ordinairement dans une rÈserve. Implicitement, il semblerait que toutes les autres dispositions de la Loi sont potentiellement applicables aux membres de la bande ne rÈsidant pas dans une rÈserve. Le paragraphe 18(1) porte:

 

                 18. (1) Sous rÈserve des autres dispositions de la prÈsente loi, Sa MajestÈ dÈtient des rÈserves ‡ l'usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de cÙtÈ; sous rÈserve des autres dispositions de la prÈsente loi et des stipulations de tout traitÈ ou cession, le gouverneur en conseil peut dÈcider si tout objet, pour lequel des terres dans une rÈserve sont ou doivent Ítre utilisÈes, se trouve ‡ l'usage et au profit de la bande. [Je souligne.]

Ainsi, les rÈserves en cause en l'espËce sont dÈtenues par Sa MajestÈ ‡ l'usage et au profit de la bande de Batchewana, laquelle, en vertu des dÈfinitions prÈcitÈes, comprend tous les membres qu'ils rÈsident ou non dans la rÈserve.

15     Le paragraphe 20(1) dispose ainsi:

 

                 20. (1) Un Indien n'est lÈgalement en possession d'une terre dans une rÈserve que si, avec l'approbation du ministre, possession de la terre lui a ÈtÈ accordÈe par le conseil de la bande.

Cela signifie qu'aucun membre de la bande ne peut Ítre lÈgalement en possession d'une terre dans la rÈserve que si la possession lui en a ÈtÈ accordÈe par le conseil de la bande, lequel est naturellement Èlu par ceux qui rÈsident dÈj‡ dans la rÈserve. Le conseil dispose ainsi d'un moyen de contrÙler le droit de vote: en refusant, par exemple, au chef d'un mÈnage la possession d'une parcelle de terrain sur la rÈserve pour y Ètablir son foyer, le conseil peut exclure cette personne et sa famille du vote.

16     Aux termes du paragraphe 39(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 3] de la Loi, des terres de rÈserve ne peuvent Ítre cÈdÈes ‡ Sa MajestÈ (ce qui se produirait normalement en cas de location ou de vente de terres par la Couronne ‡ des tiers) ‡ moins que cette cession (et donc les conditions dont elle est assortie) soit approuvÈe par "une majoritÈ des Èlecteurs" de la bande ‡ une assemblÈe ou par rÈfÈrendum. On a soulignÈ prÈcÈdemment que, selon la dÈfinition du paragraphe 2(1), il faut pour Ítre "Èlecteur" "ne pas avoir perdu son droit de vote aux Èlections de la bande". Comme nous le verrons plus loin, une personne qui ne rÈside pas ordinairement sur la rÈserve est, en vertu du paragraphe 77(1), inhabile ‡ voter aux Èlections de la bande. Par consÈquent, les "Èlecteurs" pouvant approuver l'aliÈnation des terres de rÈserve ne comprennent pas les membres de la bande vivant ‡ l'extÈrieur de la rÈserve, mÍme si les terres sont dÈtenues ‡ l'usage et au profit de tous les membres de la bande. On peut voir, en l'espËce, un effet de cette restriction. En 1992, un rÈfÈrendum a ÈtÈ tenu, vraisemblablement en vertu du sous-alinÈa 39(1)b)(iii) de la Loi, en vue d'obtenir l'approbation d'un rËglement conclu entre Sa MajestÈ et la bande de Batchewana concernant l'aliÈnation de l'Óle Whitefish, moyennant le versement ‡ la bande d'une somme de 3,4 millions de dollars. Le demandeur Frank Nolan a tentÈ de voter ‡ ce rÈfÈrendum qui portait sur un bien commun ‡ la bande, mais on lui a refusÈ ce droit parce qu'il ne rÈsidait pas sur l'une des rÈserves de la bande.

17     Les dispositions suivantes de la Loi figurent sous le titre "Administration de l'argent des Indiens" (le terme "argent des Indiens" Ètant dÈfini au paragraphe 2(1) prÈcitÈ):

 

                 61. (1) L'argent des Indiens ne peut Ítre dÈpensÈ qu'au bÈnÈfice des Indiens ou des bandes ‡ l'usage et au profit communs desquels il est reÁu ou dÈtenu, et, sous rÈserve des autres dispositions de la prÈsente loi et des clauses de tout traitÈ ou cession, le gouverneur en conseil peut dÈcider si les fins auxquelles l'argent des Indiens est employÈ ou doit l'Ítre, est ‡ l'usage et au profit de la bande.

. . .

 

                 62. L'argent des Indiens qui provient de la vente de terres cÈdÈes ou de biens de capital d'une bande est rÈputÈ appartenir au compte en capital de la bande; les autres sommes d'argent des Indiens sont rÈputÈes appartenir au compte de revenu de la bande.

. . .

 

                 64. (1) Avec le consentement du conseil d'une bande, le ministre peut autoriser et prescrire la dÈpense de sommes d'argent au compte en capital de la bande:

 

a)            pour distribuer per capita aux membres de la bande un montant maximal de cinquante pour cent des sommes d'argent au compte en capital de la bande, provenant de la vente de terres cÈdÈes;

. . .

 

j)             pour construire des maisons destinÈes aux membres de la bande, pour consentir des prÍts aux membres de la bande aux fins de construction, avec ou sans garantie, et pour prÈvoir la garantie des prÍts consentis aux membres de la bande en vue de la construction. [Je souligne.]

Le rÈsultat net de ces dispositions semble Ítre que les sommes d'argent dÈtenues par la Couronne pour le compte des bandes indiennes le sont "‡ l'usage et au profit communs" de celles-ci. Les sommes qui sont dites appartenir au "compte en capital" proviennent de la vente de biens, telles les terres cÈdÈes. Le ministre peut autoriser la dÈpense de ces sommes d'argent au compte en capital ‡ diverses fins plus ou moins directement reliÈes ‡ la rÈserve de la bande. Toutefois, certaines de ces dÈpenses sont susceptibles de toucher directement des non-rÈsidents, telles la distribution per capita aux membres de la bande, en vertu de l'alinÈa 64(1)a) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 10], de sommes d'argent portÈes au compte en capital, ainsi que la dÈpense de sommes d'argent pour la construction de maisons destinÈes aux membres de la bande (indÈpendamment de leur lieu antÈrieur de rÈsidence) en vertu de l'alinÈa 64(1)j). Soulignons que ces dÈpenses de capital ne peuvent Ítre faites par le ministre sans le consentement du conseil de bande, lequel est bien s˚r en l'espËce Èlu uniquement par les membres vivant sur les rÈserves de la bande de Batchewana. La disposition suivante s'applique aux sommes d'argent du compte de revenu:

 

                 66. (1) Avec le consentement du conseil d'une bande, le ministre peut autoriser et ordonner la dÈpense de sommes d'argent du compte de revenu ‡ toute fin qui, d'aprËs lui, favorisera le progrËs gÈnÈral et le bien-Ítre de la bande ou d'un de ses membres.

Cette disposition signifie qu'avec le consentement du conseil le ministre peut autoriser l'utilisation de sommes d'argent du compte de revenu ‡ toute fin qu'il estimera Ítre ‡ l'avantage de la bande ou d'un de ces membres. Voici un exemple: le conseil de la bande de Batchewana a dÈcidÈ d'investir dans une compagnie, Thermal Dynamics Corporation, la somme de 100 000 $ provenant de son compte de revenu. Le ministre a apparemment donnÈ son approbation. Ce dernier a Ègalement reÁu rÈcemment une demande visant l'utilisation, en tout ou en partie, de la somme de 3,4 millions de dollars portÈe au compte de revenu et provenant du rËglement touchant l'Óle Whitefish. (On ne m'a pas expliquÈ pourquoi ces fonds ont ÈtÈ crÈditÈs au compte de revenu.) Le conseil de bande n'ayant pas fourni d'explication satisfaisante quant ‡ la dÈpense projetÈe, le ministre a refusÈ de l'autoriser. Il est ‡ prÈsumer que moyennant une explication satisfaisante, il aurait donnÈ son autorisation, mÍme si la majoritÈ des membres non-rÈsidents n'avaient pris aucune part, directement ou indirectement, dans la demande du conseil.

18     Il importe de souligner ici que selon le tÈmoignage d'un reprÈsentant du MinistËre, les bandes ont dans leurs propres comptes de banque des sommes trËs importantes sur lesquelles le ministre n'a aucun contrÙle. Ces sommes proviennent de subventions gouvernementales, fÈdÈrales et provinciales, ainsi que des revenus perÁus par la bande, sous la forme de droits, etc. Elles servent en majeure partie (‡ l'exception peut-Ítre des bourses d'Ètudes post-secondaires destinÈes aux membres) ‡ financer les services offerts dans les rÈserves et au profit de ceux qui y rÈsident. Il m'apparaÓt que ces sommes n'entrent pas dans la catÈgorie "argent des Indiens" au sens du paragraphe 2(1) prÈcitÈ parce qu'elles ne sont pas dÈtenues par Sa MajestÈ, et qu'elles ne sont donc pas assujetties au rÈgime prescrit aux articles 61 ‡ 69 [art. 64.1 (ÈdictÈ par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 11), art. 68 (mod., idem, art. 13)] de la Loi.

19     En ce qui concerne les droits de vote, la disposition clÈ attaquÈe en l'espËce est le paragraphe 77(1):

 

                 77. (1) Un membre d'une bande, qui a au moins dix-huit ans et rÈside ordinairement sur la rÈserve, a qualitÈ pour voter en faveur d'une personne prÈsentÈe comme candidat au poste de chef de la bande et, lorsque la rÈserve, aux fins d'Èlection, ne comprend qu'une section Èlectorale, pour voter en faveur de personnes prÈsentÈes aux postes de conseillers. [Je souligne.]

20     Le paragraphe 81(1) [mod., idem, art. 15] confËre au conseil de bande le pouvoir de prendre des rËglements administratifs pour l'une des fins ÈnumÈrÈes dont la suivante:

 

                 81. (1) . . .

 

(i)           l'arpentage des terres de la rÈserve et leur rÈpartition entre les membres de la bande, et l'Ètablissement d'un registre de certificats de possession et de certificats d'occupation concernant les attributions, et la mise ‡ part de terres de la rÈserve pour usage commun, si l'autorisation ‡ cet Ègard a ÈtÈ accordÈe aux termes de l'article 60.

21     Il convient de souligner qu'outre qu'ils contestent la validitÈ du paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens, les demandeurs attaquent Ègalement l'article 3 du RËglement sur les Èlections au sein des bandes d'Indiens de mÍme que certains rËglements administratifs de la bande indienne de Batchewana. Le RËglement en cause13 et les rËglements administratifs de la bande14 ne font qu'Ètablir certains critËres permettant de dÈterminer si une personne "rÈside ordinairement" sur une rÈserve. Ils n'ont aucune pertinence en l'espËce. Je ne suis pas certain que le conseil de bande ait ÈtÈ investi du pouvoir de prendre ces rËglements mais je m'abstiendrai de toute conclusion sur ce point. La question essentielle ‡ trancher est celle de la validitÈ du paragraphe 77(1) de la Loi, lequel exige qu'un membre rÈside ordinairement sur la rÈserve pour Ítre "Èlecteur" et partant, exercer les divers droits de vote confÈrÈs uniquement aux Èlecteurs.

Actes de procÈdure des demandeurs

22     Afin de dÈterminer si les demandeurs ont plaidÈ les allÈgations essentielles au type de jugement dÈclaratoire qui me semble le plus pertinent, il est utile de reprendre certains paragraphes de la dÈclaration. On y allËgue notamment:

 

                 [Traduction] 65. La bande indienne de Batchewana constitue, ‡ titre de bande indienne, un groupe d'Indiens ‡ l'usage et au profit communs desquels des terres ont ÈtÈ mises de cÙtÈ et/ou ‡ l'usage et au profit communs desquels Sa MajestÈ dÈtient des sommes d'argent.

 

66.         La rÈsidence sur la rÈserve n'est pas une condition essentielle au statut de membre de la bande. Pourvu qu'il n'y ait pas abandon volontaire du statut d'Indien, ou qu'il n'y ait pas changement d'appartenance du fait de l'adhÈsion ‡ une autre bande, le membre de la bande le demeure mÍme s'il s'Ètablit ‡ l'extÈrieur de la rÈserve. En consÈquence, les demandeurs affirment, et le fait est que la bande a une existence perpÈtuelle indÈpendante du lieu de rÈsidence de ses membres.

67.         Les membres de la bande indienne de Batchewana qui rÈsident dans la rÈserve mise de cÙtÈ pour la bande vivent sur un territoire immuable que Sa MajestÈ dÈtient collectivement pour l'ensemble des membres de la bande. Les membres rÈsidents et non-rÈsidents jouissent d'un droit collectif sur toutes les terres de rÈserve et sur tous les fonds au compte de capital et de revenu accumulÈs au nom de tous les membres de la bande.

68.         Les demandeurs plaident en consÈquence, et le fait est que tous les membres de la bande, qu'ils rÈsident ou non sur la rÈserve, ont un intÈrÍt et un profit Ègaux eu Ègard aux terres, aux biens et aux activitÈs de la bande.

69.         Les demandeurs affirment que le statut de membre d'une bande est analogue ‡ la citoyennetÈ.

Il importe de lire ces allÈgations parallËlement aux redressements demandÈs, dont notamment les suivants:

 

                 [Traduction] 74. Le demandeur conclut donc:

 

a)            ‡ un jugement dÈclaratoire portant qu'eu Ègard aux circonstances de l'espËce, l'article 77 de la Loi sur les Indiens, l'article 3 du RËglement sur les Èlections au sein des bandes d'Indiens et les rËglements administratifs 86-67 et 86-73 de la bande indienne de Batchewana contreviennent ‡ l'article 15, ‡ l'alinÈa 2d) ainsi qu'‡ l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertÈs;

b)            ‡ un jugement dÈclaratoire portant que l'article 77 de la Loi sur les Indiens, l'article 3 du RËglement sur les Èlections au sein des bandes d'Indiens et les rËglements administratifs 86-67 et 86-73 de la bande indienne de Batchewana, qui disposent qu'un membre de la bande doit rÈsider ordinairement sur la rÈserve pour avoir droit de vote ou se porter candidat aux Èlections de la bande, ne s'appliquent pas aux Èlections tenues sous le rÈgime de la Loi sur les Indiens au sein de la bande indienne de Batchewana.

Questions en litige

23     Voici les questions qui apparaissent pertinentes dans le prÈsent litige:

 

(1)          Le refus d'accorder le droit de vote aux Èlections de la bande ou le statut d'"Èlecteur" aux membres de la bande de Batchewana qui ne rÈsident pas ordinairement sur les rÈserves de cette bande contrevient-il ‡ l'article 15 de la Charte?

(2)          Dans l'affirmative, ces restrictions peuvent-elles Ítre justifiÈes en vertu de l'article premier de la Charte?

(3)          Ces restrictions portent-elles atteinte ‡ la "libertÈ d'association" des membres de la bande ne rÈsidant pas ordinairement sur la rÈserve, que leur garantit l'alinÈa 2d) de la Charte?

(4)          Dans l'affirmative, ces restrictions sont-elles justifiÈes en vertu de l'article premier de la Charte?

Conclusions

Y a-t-il atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte?

24     Le paragraphe 15(1) Èdicte:

 

                 15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique Ègalement ‡ tous, et tous ont droit ‡ la mÍme protection et au mÍme bÈnÈfice de la loi, indÈpendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondÈes sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'‚ge ou les dÈficiences mentales ou physiques.

Il importe en premier lieu de souligner que le motif de discrimination allÈguÈ en l'espËce est le lieu de rÈsidence des membres de la bande. Or le lieu de rÈsidence n'est pas l'un des motifs ÈnumÈrÈs au paragraphe 15(1).

25     Suivant l'arrÍt de la Cour suprÍme du Canada Andrews c. Law Society of British Columbia15, il me faut d'abord dÈterminer s'il y a discrimination au sens du paragraphe 15(1). Pour qu'il y ait discrimination, il doit y avoir une rËgle de droit comportant certains effets nÈgatifs sur ceux qui l'allËguent. J'ai la conviction que le refus d'accorder le droit de vote aux Èlections au conseil de bande ou ‡ des fins telle que l'approbation de la cession d'un intÈrÍt dans la rÈserve a des rÈpercussions nÈgatives importantes sur ceux qui ne rÈsident pas ordinairement sur la rÈserve. Il me faut toutefois dÈterminer ensuite si le motif de ce refus est analogue ‡ l'un des motifs ÈnumÈrÈs au paragraphe 15(1). Dans quelques arrÍts, on a considÈrÈ que la province de rÈsidence ne constituait pas un motif analogue16, notamment parce que les non-rÈsidents en cause n'avaient pas les caractÈristiques d'une "minoritÈ discrËte et isolÈe", ‡ savoir qu'ils ne constituaient pas un groupe qui, "dans les contextes social, politique et juridique de notre sociÈtÈ", avait ÈtÈ historiquement ou systÈmatiquement dÈfavorisÈ. On a Ègalement reconnu dans ces cas que le fÈdÈralisme pouvait lÈgitimer, d'une province ‡ l'autre, les diffÈrences de traitement entre les personnes.

26     Je suis d'avis qu'il se peut fort que les membres de la bande ne rÈsidant pas dans la rÈserve constituent un tel groupe traditionnellement dÈfavorisÈ, du moins les membres de la bande de Batchewana qui forment le groupe pertinent aux fins du jugement dÈclaratoire qu'on me demande de prononcer en l'espËce. Je m'abstiens de toute observation ou conclusion quant ‡ la situation des autres bandes. Mais en ce qui concerne la bande de Batchewana, historiquement depuis 1850 une partie substantielle des membres n'a pu rÈsider sur les terres de rÈserve. Bien que la preuve ne permette pas de bien comprendre les raisons de cette situation ‡ certains moments, je crois pouvoir conclure que pendant longtemps les terres n'Ètaient pas suffisamment nombreuses (ou mÍme presque inexistantes pendant une certaine pÈriode) ou Ètaient impropres ‡ assurer la subsistance d'un grand nombre de personnes. Il appert du taux d'Ètablissement sur la rÈserve de Rankin aprËs sa crÈation en 1952 que les membres Ètaient nombreux ‡ dÈsirer y vivre. Entre 1953 et 1985, la proportion des membres vivant dans les rÈserves a plus que doublÈ, passant de quelque 34 ‡ 69 %. On peut ainsi constater l'effet que la crÈation d'une rÈserve suffisante et l'adoption d'un programme Ènergique de logement a eu sur la capacitÈ des non-rÈsidents de choisir leur lieu de rÈsidence. En raison cependant des modifications apportÈes ‡ la Loi sur les Indiens en 1985, la proportion s'est encore une fois inversÈe, de sorte qu'en 1991, environ 68 % des membres vivaient ‡ l'extÈrieur de la rÈserve. Ce phÈnomËne s'explique avant tout par la forte augmentation soudaine du nombre de membres consÈcutive au projet de loi C-3117. Or il importe de rappeler les raisons pour lesquelles ces nouveaux venus s'Ètaient vu refuser le statut de membre et partant, toute possibilitÈ de s'Ètablir sur la rÈserve. Il s'agissait pour la plupart de femmes ou de leurs enfants qui avaient perdu leur statut en raison de leur mariage avec un non-Indien, comme le prÈvoyait l'ancien alinÈa 12(1)b) de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1970, ch. I-6] (alors que ce n'Ètait pas le cas pour les hommes Èpousant des non-Indiennes). Cette disposition a ÈtÈ attaquÈe avec succËs devant le ComitÈ des droits de l'homme des Nations Unies18. Ce n'est pas par hasard qu'elle a ÈtÈ abrogÈe par le projet de loi C -31 le jour mÍme de l'entrÈe en vigueur de l'article 15 de la Charte. Parmi les personnes ayant ainsi recouvrÈ leur statut figuraient ceux qui, de leur propre chef ou, comme dans le cas du demandeur Frank Nolan, du chef de leurs parents, avaient choisi d'Ítre "ÈmancipÈs" et d'exercer les droits de citoyen canadien. On peut donc lÈgitimement prÈtendre que ceux qui ont recouvrÈ leur statut gr‚ce au projet de loi C-31 s'Ètaient vu historiquement priver de leur appartenance ‡ la bande (et donc du droit de vivre dans une rÈserve) du fait de leur sexe ou de leur race, leur mËre ayant ÈpousÈ un homme d'une autre race ou leurs parents ayant ÈtÈ obligÈs de renoncer ‡ leur statut d'Indiens afin de jouir des mÍmes droits et d'assumer les mÍmes obligations que les Canadiens d'autres races. Une fois recouvrÈ le statut qu'ils avaient perdu en raison de dispositions fondÈes sur le sexe ou la race, ils constatent maintenant que la possibilitÈ de rÈsider dans une rÈserve leur est limitÈe. De plus, leur droit de faire valoir directement ou indirectement leur opinion quant ‡ l'utilisation ou ‡ l'aliÈnation des terres et des revenus dÈtenus par la Couronne pour le compte de tous les membres de la bande n'existe pas parce qu'ils ne vivent pas dans la rÈserve. N'ayant pas voix au chapitre pour ce qui est de l'Èlection du conseil de bande, ils ne peuvent exprimer leur avis sur le rythme auquel le conseil attribue des terres aux nouveaux venus dans la rÈserve ni sur la rÈpartition des sommes destinÈes ‡ l'habitation que le conseil obtient du gouvernement du Canada. J'estime donc qu'il est possible de caractÈriser les personnes qui ne rÈsident pas ordinairement sur l'une des rÈserves de la bande de Batchewana comme formant, de faÁon gÈnÈrale, un groupe qui a ÈtÈ historiquement dÈfavorisÈ du fait de son incapacitÈ ‡ s'Ètablir dans les rÈserves. Cela ne veut pas dire, naturellement, qu'il n'y a pas parmi eux certains membres n'ayant aucun dÈsir de s'Ètablir dans les rÈserves et qui, selon les critËres normaux, vivent mieux ‡ l'extÈrieur des rÈserves. Mais ainsi qu'on l'a vu prÈcÈdemment, nombreux doivent Ítre ceux qui, parmi les membres au nom de qui la prÈsente instance est engagÈe, ne peuvent changer de lieu de rÈsidence pour aller s'Ètablir dans la rÈserve, pas plus facilement ‡ tout le moins qu'une personne peut changer de citoyennetÈ-caractÈristique qu'on a jugÈe, dans l'arrÍt Andrews, analogue aux motifs expressÈment ÈnumÈrÈs au paragraphe 15(1). Bien qu'on l'ait dite "immuable"19, la citoyennetÈ, tout comme la rÈsidence dans la rÈserve ou ‡ l'extÈrieur, peut Ítre changÈe mais au prix de difficultÈs considÈrables et sous rÈserve de dÈcisions relevant de tierces personnes.

27     Suivant l'arrÍt Andrews il convient aussi, pour dÈterminer si un groupe est victime de "discrimination", d'examiner l'objet de la disposition qui le priverait de certains avantages. Dans cette affaire, la Cour a soulignÈ que la discrimination suppose des distinctions fondÈes sur des diffÈrences personnelles non pertinentes20. Pour savoir si une caractÈristique est "non pertinente", il faut examiner la nature et l'objet de la mesure lÈgislative. En l'espËce, il m'apparaÓt que les conclusions qu'on peut tirer diffÈreront de la disposition en cause de la Loi sur les Indiens. Les tÈmoignages des experts et les arguments soumis pour le compte des ministres dÈfendeurs m'ont convaincu que la Loi sur les Indiens a notamment pour objet de pourvoir ‡ la constitution d'une forme de gouvernement local sur les rÈserves, analogue ‡ un gouvernement municipal. Il est manifeste, par exemple, que la plupart des pouvoirs rÈglementaires dont le conseil de bande est investi au paragraphe 81(1) se rapportent uniquement ‡ l'administration de la rÈserve. De plus, la preuve indique que la plus grande partie du budget de fonctionnement que le gouvernement fÈdÈral accorde aux bandes indiennes (et qui, si je ne m'abuse, ne constitue pas de l'"argent des Indiens" au sens de la Loi) et que ces derniËres dÈpensent suivant certaines lignes directrices gouvernementales, se rattachent ‡ des objets purement locaux tels les Ètablissements d'enseignement dans la rÈserve, l'assistance sociale, la gestion fonciËre et les loisirs. Il est vrai que l'engagement de certaines de ces sommes aura des rÈpercussions directes sur les membres non-rÈsidents, tels l'octroi de bourses d'Èducation post-secondaire ou l'attribution de fonds destinÈs au logement des nouveaux membres enregistrÈs aprËs l'adoption du projet de loi C-31. Dans la mesure o˘ le conseil de bande exerce ainsi les fonctions d'un gouvernement local, je ne crois pas qu'il soit possible de dire que l'exigence de la rÈsidence sur une rÈserve comme condition du droit de vote soit une caractÈristique personnelle non pertinente. Certes, il est en preuve que dans au moins quatre provinces canadiennes, les propriÈtaires peuvent voter aux Èlections municipales sans Ítre rÈsidents de la municipalitÈ. Dans les autres provinces, les lois provinciales exigent qu'une personne rÈside dans la municipalitÈ pour pouvoir y voter. Bien que les deux rÈgimes aient sans conteste des mÈrites, on peut en toute rationalitÈ faire valoir que pour Ítre habile ‡ voter dans une municipalitÈ, il faut avoir avec elle un lien trËs direct qui se traduit par la rÈsidence: ce sont en effet les rÈsidents qui subissent les consÈquences des dÈcisions du conseil municipal telles la rÈpartition des ressources ou l'adoption de mesures lÈgislatives et qui devraient donc, logiquement, avoir le droit exclusif de voter pour Èlire le conseil municipal. Dans la mesure o˘ la Loi sur les Indiens exige pareillement que les membres de la bande rÈsident sur la rÈserve afin de pouvoir choisir un conseil de bande essentiellement vouÈ ‡ l'administration du territoire constituant la rÈserve, je ne crois pas que son objet soit discriminatoire.

28     Cependant, il m'apparaÓt que la restriction du droit de vote aux membres qui rÈsident ordinairement sur la rÈserve est fondÈe sur une caractÈristique personnelle non pertinente lorsque ce droit de vote se rapporte ‡ la faÁon de disposer des terres et de l'argent des Indiens que dÈtient Sa MajestÈ "‡ l'usage et au profit de la bande"21, la "bande" incluant tous les membres et non seulement les rÈsidents de la rÈserve. Les rÈpercussions des dÈcisions prises ‡ cet Ègard ne sont pas essentiellement confinÈes, comme les dÈcisions courantes du conseil, aux rÈsidents de la rÈserve. Ces dÈcisions concernent au contraire l'usage et l'aliÈnation des biens communs dont chacun des membres dÈtient une part, quel que soit le lieu o˘ il habite. Par consÈquent, assujettir le droit de vote sur ces questions ‡ l'exigence de la rÈsidence ordinaire sur la rÈserve Èquivaut ‡ nier des droits en raison d'une caractÈristique personnelle qui n'est pas pertinente eu Ègard ‡ l'existence et ‡ la portÈe de ces droits.

29     Il me faut donc conclure que dans la mesure o˘ elles s'appliquent ‡ l'emploi ou ‡ l'aliÈnation des biens ou des sommes d'argent que dÈtient Sa MajestÈ ‡ l'usage et au profit de la bande, les dispositions de la Loi sur les Indiens privant les membres de la bande de Batchewana ne rÈsidant pas ordinairement sur l'une quelconque de ses rÈserves du droit de vote, que ce soit directement ‡ l'occasion d'une assemblÈe ou d'un rÈfÈrendum ou indirectement ‡ l'occasion des Èlections au conseil de bande, contreviennent au paragraphe 15(1) de la Charte. La seule disposition applicable de la Loi que les demandeurs ont expressÈment attaquÈe dans leurs actes de procÈdure est le paragraphe 77(1), lequel rend le droit d'Èlire le conseil de bande conditionnel ‡ la rÈsidence ordinaire sur une rÈserve. Cette disposition, utilisÈe par renvoi ‡ la dÈfinition d'"Èlecteur", est la source de la contravention allÈguÈe aux paragraphes 65 ‡ 68 prÈcitÈes de la dÈclaration. Il suffira de dÈclarer que le paragraphe 77(1) contrevient au paragraphe 15(1), aux fins que j'ai prÈcisÈes, bien que les consÈquences inconstitutionnelles qu'il entraÓne dÈcoulent de son effet sur des dispositions tels l'alinÈa 39(1)b) et les paragraphes 64(1) et 66(1). J'inclus ces deux derniers paragraphes parce qu'ils exigent uniquement le consentement du conseil de bande, lequel en vertu de la dÈrogation en cause, n'est Èlu que par les membres de la bande qui rÈsident sur la rÈserve.

30     Par contre, ne sont pas touchÈs par ma dÈclaration d'invaliditÈ les arrangements en vertu desquels le conseil de bande a l'autoritÈ exclusive de dÈcider de l'emploi des subventions qu'il reÁoit du gouvernement du Canada de sources autres que l'"argent des Indiens", suivant l'article 62 de la Loi. Si j'ai bien saisi, il existe de nombreux fonds gouvernementaux destinÈs ‡ divers programmes qui ne relËvent pas du rÈgime Ètabli aux articles 61 ‡ 69. Ces crÈdits parlementaires sont allouÈs en majoritÈ ‡ des fins purement relatives aux rÈserves et reflËtent le jugement du lÈgislateur quant ‡ la faÁon dont ils devraient Ítre utilisÈs. Il m'apparaÓt qu'‡ l'Ègard de ces fonds, les membres de la bande non-rÈsidents ne peuvent pas faire valoir de droits communs.

S'il y a atteinte au paragraphe 15(1), cette restriction peut-elle Ítre justifiÈe en vertu de l'article premier?

31     Cette question exige une rÈponse en deux parties: la premiËre a trait ‡ l'application du paragraphe 77(1) aux Èlections du conseil de bande aux fins d'Èlire un conseil chargÈ de l'administration courante de la rÈserve elle-mÍme; la seconde concerne l'effet du paragraphe 77(1) sur le droit de se prononcer directement ou indirectement (en Èlisant les membres du conseil de bande) sur la faÁon de disposer des terres de rÈserve ou de l'argent des Indiens que dÈtient Sa MajestÈ ‡ l'usage et au profit de l'ensemble de la bande.

32     En ce qui concerne la premiËre application du paragraphe 77(1), j'ai dÈj‡ conclu qu'il n'y a pas atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte. Si cette conclusion devait Ítre erronÈe, j'estimerais nÈanmoins essentiellement pour les mÍmes raisons que le fait de limiter le droit de vote aux Èlections du conseil de bande, pour ce qui est des affaires courantes de la rÈserve, aux rÈsidents ordinaires de cette rÈserve, constitue une limite raisonnable prescrite par une rËgle de droit et dont la justification peut se dÈmontrer dans le cadre d'une sociÈtÈ libre et dÈmocratique. Bien que cette faÁon de restreindre le droit de vote ne soit pas la seule qu'on puisse concevoir, elle fait clairement partie de la gamme des options dont le lÈgislateur pouvait lÈgitimement se prÈvaloir.

33     En ce qui concerne l'application du paragraphe 77(1) ayant pour rÈsultat d'empÍcher les membres de la bande qui ne rÈsident pas ordinairement sur une rÈserve d'exprimer leur opinion politique quant aux dÈcisions relatives ‡ la faÁon de disposer de la rÈserve elle-mÍme ou de l'"argent des Indiens", je n'y vois aucune justification eu Ègard aux exigences de l'article premier. On n'a apportÈ aucune explication sÈrieuse ‡ la position voulant que les membres qui ne rÈsident pas sur une rÈserve ne devraient pas pouvoir participer aux dÈcisions portant sur des biens dÈtenus ‡ l'usage et au profit de l'ensemble de la bande et dans lesquels chacun des membres a un intÈrÍt commun. En l'espËce, il est manifeste que le nombre des membres de la bande de Batchewana a toujours excÈdÈ substantiellement celui des rÈsidents de ses rÈserves. Or, l'une des notions fondamentales de la Loi sur les Indiens est qu'il est possible d'avoir le statut d'Indien, d'appartenir ‡ la bande et de jouir des droits communs dans les biens-terres et sommes d'argent-que dÈtient Sa MajestÈ ‡ l'usage et au profit de la bande, sans vivre dans une rÈserve. Comment alors peut-on justifier une disposition qui nie ‡ ceux qui ne vivent pas dans une rÈserve-volontairement ou involontairement selon les cas-tout contrÙle sur l'aliÈnation de ces biens lorsque Sa MajestÈ doit obtenir ‡ cette fin le consentement de ceux qui vivent dans la rÈserve? L'avocat des dÈfendeurs a laissÈ entendre qu'il serait tout ‡ fait injuste qu'une majoritÈ de membres non-rÈsidents puisse l'emporter et approuver la cession de tout ou partie d'une rÈserve. Selon lui, restreindre le vote en la matiËre aux rÈsidents est par consÈquent raisonnable. Cette explication me paraÓt inacceptable. ¿ mon avis, il est au contraire raisonnable que les rÈsidents et les non-rÈsidents aient tous deux, directement ou indirectement, droit de vote sur ces questions. Soulignons qu'aux paragraphes 39(1), 64(1) et 66(1) qui traitent respectivement de la cession de terres de rÈserve, de la dÈpense de sommes d'argent au compte en capital et au compte de revenu, l'approbation du gouverneur en conseil ou du ministre des Affaires indiennes est exigÈe en plus de celle de la bande. Le gouvernement peut ainsi empÍcher que les rÈsidents ou les non-rÈsidents reÁoivent un traitement injuste: pour ce faire toutefois, il importe que le gouvernement connaisse d'abord l'opinion de chaque catÈgorie de membres. ¿ l'heure actuelle, il n'existe ‡ tout le moins aucun mÈcanisme formel lui permettant de connaÓtre l'opinion des non-rÈsidents de faÁon ‡ pouvoir en tenir compte. Pour ces motifs, je conclus que dans la mesure o˘ il empÍche toute participation des membres non-rÈsidents dans les dÈcisions de cette nature, le paragraphe 77(1) ne constitue pas une limite raisonnable aux droits que leur garantit le paragraphe 15(1) de la Charte.

Y a-t-il atteinte ‡ la libertÈ d'association? Dans l'affirmative, cette atteinte est-elle justifiÈe en vertu de l'article premier de la Charte?

34     L'alinÈa 2d) de la Charte Èdicte:

 

2.            Chacun a les libertÈs fondamentales suivantes:

. . .

 

d)            libertÈ d'association.

Les demandeurs soutiennent que la libertÈ des membres non-rÈsidents de s'associer avec les membres rÈsidents est violÈe par le paragraphe 77(1) qui a pour effet de rendre les non-rÈsidents inhabiles ‡ voter sous le rÈgime de la Loi.

35     Cette question n'a pas ÈtÈ dÈbattue ‡ fond et j'estime qu'il n'y a pas lieu de statuer ‡ cet Ègard. MÍme si la nÈgation du droit de voter pour le conseil dans l'exercice de ses fonctions d'administrateur de la rÈserve porte atteinte ‡ la libertÈ d'expression, je conclurais pour les motifs exposÈs prÈcÈdemment qu'il s'agit d'une limite raisonnable apportÈe ‡ cette libertÈ en vertu de l'article premier de la Charte. La disposition limite en effet le droit de choisir le conseil de bande, en ce qui concerne les affaires courantes de la rÈserve, ‡ ceux qui sont les plus directement touchÈs, savoir ceux qui vivent dans la rÈserve.

36     Quant aux autres applications du paragraphe 77(1), savoir la cession de la rÈserve ou l'affectation de l'argent des Indiens, Ètant donnÈ ma conclusion prÈcÈdente que cette disposition viole le paragraphe 15(1) de la Charte, il n'est pas nÈcessaire d'examiner si elle contrevient Ègalement ‡ la libertÈ d'association.

Dispositif

37     J'en viens en consÈquence ‡ la conclusion qu'il y a lieu de prononcer un jugement dÈclaratoire portant que la restriction du droit de vote, qu'impose le paragraphe 77(1) de la Loi ‡ ceux qui rÈsident ordinairement sur la rÈserve, contrevient ‡ certains Ègards aux droits que garantit le paragraphe 15(1) de la Charte aux demandeurs et ‡ ceux au nom desquels ils poursuivent qui ne rÈsident pas sur l'une quelconque des rÈserves de la bande de Batchewana. Ces droits sont violÈs en ce que le paragraphe 77(1) empÍche ces personnes de se prononcer sur la cession potentielle de tout ou partie d'une rÈserve en vertu du paragraphe 39(1) de la Loi, ou sur l'emploi de l'argent des Indiens sous l'empire des paragraphes 64(1) et 66(1), lesquels exigent que le conseil de bande pour l'Èlection duquel elles ne peuvent voter donne son consentement au nom de la bande.

38     Ce jugement dÈclaratoire est fondÈ, entre autres, sur les allÈgations contenues aux paragraphes 65 ‡ 68, prÈcitÈs, de la dÈclaration et il reprÈsente une partie de la rÈparation recherchÈe ‡ l'alinÈa 74a). Il est restreint aux droits de vote des membres de la bande de Batchewana, Ètant donnÈ qu'‡ titre de juge de premiËre instance, je dois me limiter ‡ l'affaire qui m'est soumise ainsi qu'aux actes de procÈdure et ‡ la preuve qui me sont prÈsentÈs. Le jugement doit dÈclarer l'invaliditÈ du paragraphe 77(1) dans sa totalitÈ, mÍme si j'ai tentÈ d'en dÈcrire les applications particuliËres inacceptables. Il est en effet impossible d'en dissocier les parties invalides Ètant donnÈ que le paragraphe 77(1) se conforme ‡ la Charte ou y contrevient suivant les autres articles qu'il rÈgit. Il n'est pas non plus possible d'y confÈrer une interprÈtation large susceptible d'en prÈserver la validitÈ: tenter d'appliquer ‡ cet Ègard le critËre qu'a ÈnoncÈ la Cour suprÍme dans l'arrÍt Schachter22 serait en effet, eu Ègard aux circonstances de l'espËce, prÍter au lÈgislateur des intentions de faÁon purement spÈculative.

39     J'estime qu'il s'agit d'un cas o˘ il y a lieu de suspendre l'effet de la dÈclaration de faÁon ‡ permettre un examen parlementaire des modifications qu'il conviendrait d'apporter ‡ la Loi sur les Indiens. Une simple radiation ou un simple ajout ne suffiront pas en effet ‡ corriger la situation et le lÈgislateur doit avoir l'occasion d'examiner les options dont il dispose aux fins de rendre la Loi conforme ‡ la Constitution. Toute dÈclaration ayant effet immÈdiatement pourrait mettre en doute la capacitÈ de l'actuel conseil de la bande de Batchewana de vaquer aux affaires courantes de la rÈserve. C'est donc un cas o˘ il convient de retarder l'effet de la dÈclaration.

40     Dans l'affaire Schachter, j'ai retardÈ en premiËre instance l'entrÈe en vigueur d'une dÈclaration en suspendant l'effet de mon jugement jusqu'‡ l'issue de l'appel23, et le lÈgislateur a de fait modifiÈ la loi avant que les procÈdures d'appel ne soient terminÈes. ¿ cette Èpoque, la Cour suprÍme n'avait pas encore endossÈ le principe de l'annulation Èventuelle, sauf dans les circonstances exceptionnelles du Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba24. SubsÈquemment, la Cour a dÈgagÈ la notion de "pÈriode transitoire" pour l'entrÈe en vigueur de jugements dÈclaratoires25. Lorsque l'affaire Schachter est arrivÈe en Cour suprÍme, celle-ci a dit, sans Èvoquer la possibilitÈ d'accorder un dÈlai en suspendant l'effet d'un jugement jusqu'‡ l'issue de l'appel, que la meilleure faÁon de permettre au lÈgislateur fÈdÈral ou provincial de corriger des dispositions lÈgislatives afin de "combler le vide" est de suspendre temporairement l'effet de la dÈclaration d'invaliditÈ26. Il incombe donc au juge de premiËre instance de tenter d'Èvaluer, dans un cas comme la prÈsente espËce o˘ il y aura incontestablement appel, le temps nÈcessaire pour que les appels soient formÈs et qu'il en soit disposÈ devant deux instances supÈrieures. Afin de permettre ‡ toutes les parties concernÈes d'examiner la situation et d'engager les procÈdures d'appel, tout en ne privant pas ind˚ment les demandeurs des fruits de leur poursuite, je suspendrai l'effet de la dÈclaration d'invaliditÈ jusqu'au 1er juillet 1994, ‡ moins d'ordonnance contraire de la Cour. Il sera bien s˚r loisible aux dÈfendeurs de demander la prorogation de cette suspension moyennant des motifs suffisants.

41     ¿ la demande de l'avocat des demandeurs, et en l'absence d'opposition de la part de l'avocat des ministres dÈfendeurs, je n'adjugerai pas de dÈpens dans cette ordonnance initiale afin de permettre aux avocats de prÈsenter des observations orales ou Ècrites ‡ ce sujet.

42     Je rejetterai toutes les formes de rÈparation auxquelles les demandeurs concluent au paragraphe 74 de leur dÈclaration, hormis la rÈparation recherchÈe ‡ l'alinÈa a). La rÈparation demandÈe ‡ l'alinÈa b) est trop large Ètant donnÈ ma conclusion que la Loi est valide eu Ègard aux Èlections au sein du conseil de bande dans la mesure o˘ les pouvoirs du conseil se limitent ‡ certaines questions. De mÍme, les alinÈas c) et d), o˘ il est conclu ‡ une ordonnance ou ‡ une injonction mandatoire, sont trop larges parce qu'on y prÈsume que les membres non-rÈsidents de la bande devraient avoir un droit de vote gÈnÈral. Si je ne m'abuse, les demandeurs ont retirÈ leur demande formulÈe ‡ l'alinÈa e) quant ‡ l'annulation de la derniËre Èlection et, vu ma conclusion ainsi que la suspension de la dÈclaration d'invaliditÈ, c'est une rÈparation qu'il ne conviendrait pas d'accorder.

qp/d/nnb

 

 

 

 

1 Twinn c. Canada, [1987] 2 C.F. 450 (1re inst.). Voir Ègalement Bande indienne de Montana c. Canada, [1991] 2 C.F. 30, o˘ la Cour d'appel fÈdÈrale a refusÈ de radier une dÈclaration faite au nom de tous les membres de certaines bandes et visant ‡ obtenir des jugements dÈclaratoires quant ‡ l'inscription dans la Constitution de certains droits autochtones. La question de la qualitÈ pour agir n'a manifestement pas ÈtÈ soulevÈe en l'espËce.

 

2 Voir ‡ titre d'exemples Thorson c. Procureur gÈnÈral du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607.

 

3 ExposÈ conjoint des faits, par. 33.

 

4 PiËce D-11, telle que modifiÈe ‡ l'instruction.

 

5 S.C. 1985, ch. 27 [Loi modifiant la Loi sur les Indiens].

 

6 PiËce D-16, ‡ la p. 3 et tableau 2-2.

 

7 PiËce 250, annexe F; tÈmoignage du chef Vernon Syrette.

 

8 S.C. 1951, ch. 29, art. 76; actuel art. 77 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 14).

 

9 DORS/51-529.

 

10 Aux termes de l'art. 74(1), le ministre peut dÈclarer par arrÍtÈ que les Èlections au sein d'une bande en particulier seront tenues selon la Loi. Cette dÈclaration peut Ègalement Ítre abrogÈe. Lorsque l'abrogation se fait en modifiant la dÈfinition du terme "conseil de la bande", infra, note 12, art. 2, le conseil est alors Èlu conformÈment ‡ la coutume de la bande.

 

11 PiËce D-7.

 

12 L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 1; (4e suppl.), ch. 17, art. 1].

 

13 C.R.C., ch. 952, art. 3.

 

14 NumÈros 86-67 et 86-73.

 

15 [1989] 1 R.C.S. 143.

 

16 Voir ‡ titre d'exemples R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; R. c. S.(S.), [1990] 2 R.C.S. 254.

 

17 Voir piËce D-16, tableau 2-2; voir Ègalement note 6, supra, et le texte qu'elle accompagne.

 

18 Lovelace c. Canada (1983), 1 Ann. Can. Droits de la personne 305. Bien que le ComitÈ des droits de l'homme des N.U. ait estimÈ qu'en privant Mme Lovelace du statut d'Indienne, l'alinÈa 12(1)b) constituait une discrimination fondÈe sur le sexe, le Pacte [Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 dÈc. 1966, [1976] R.T. Can. no 47] n'Ètait pas en vigueur lorsque le cas s'est posÈ. Le ComitÈ a conclu qu'il y avait violation d'autres dispositions du Pacte international.

 

19 Voir note 15, supra, ‡ la p. 195.

 

20 Ibid., aux p. 165 et 193.

 

21 Voir la Loi sur les Indiens, supra, note 12, art. 18(1) et 61(1).

 

22 Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, aux p. 705 ‡ 715.

 

23 [1988] 3 C.F. 515 (1re inst.), ‡ la p. 550.

 

24 [1985] 1 R.C.S. 721.

 

25 Voir R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190, aux p. 217 et 218; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, ‡ la p. 1022.

 

26 [1992] 2 R.C.S. 679, aux p. 715 et 716.