** Traduction **
IntitulÈ de la cause :
Fetherston c. Canada (Agence canadienne d'inspection des
aliments)
Entre
Robert M. Fetherston, demandeur, et
L'Agence canadienne d'inspection des aliments,
dÈfenderesse
[2003] A.C.F. no 1049
[2003] F.C.J. No. 1049
2003 CF 827
2003 FC 827
236 F.T.R. 303
124 A.C.W.S. (3d) 400
Dossier T-2264-01
Cour fÈdÈrale
Toronto (Ontario)
Le juge Gibson
Entendu : le 24 juin 2003.
Rendu : le 4 juillet 2003.
(46 paras)
Avocats :
Raymond G. Colautti, pour le demandeur.
Suzanne M. Duncan, pour la dÈfenderesse.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE GIBSON :--
INTRODUCTION
1 Les prÈsents motifs font suite ‡ l'instruction d'une demande de contrÙle judiciaire concernant la dÈcision du Dr T.E. Wilson, DMV, membre de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (l'ACIA), agissant ‡ titre de "dÈcideur", de "rÈvoquer" le pouvoir du Dr Robert M. Fetherston (le demandeur) d'exercer ses fonctions ‡ titre de vÈtÈrinaire accrÈditÈ, d'informer le College of Veterinarians of Ontario de cette annulation et des renseignements sur lesquels elle est fondÈe, d'interdire au demandeur de prÈsenter une nouvelle demande d'accrÈditation avant le 1er novembre 2002 ou avant la date ‡ laquelle la poursuite que pourrait instituer le College of Veterinarians of Ontario ‡ la suite des renseignements transmis prendra fin et d'obliger le demandeur ‡ suivre une sÈance d'orientation et de formation prÈalable ‡ l'accrÈditation avant de prÈsenter une autre demande d'accrÈditation. La dÈcision attaquÈe est datÈe du 29 novembre 2001.
2 Dans sa demande de contrÙle judiciaire, le demandeur sollicite un certain nombre de mesures de redressement dont le nombre a ÈtÈ considÈrablement rÈduit ‡ l'audience. En derniËre analyse, le demandeur demande l'annulation de la dÈcision et la dÈlivrance d'une ordonnance obligeant l'ACIA ‡ informer le College of Veterinarians of Ontario de l'annulation de la dÈcision attaquÈe. Le demandeur ne demande pas de dÈpens.
3 La dÈfenderesse demande le rejet de la demande de contrÙle judiciaire et les dÈpens de cette demande.
CONTEXTE
4 Le demandeur possËde depuis 1973 un permis l'autorisant ‡ pratiquer la mÈdecine vÈtÈrinaire en Ontario. Le 16 mars 2001, il a signÈ avec l'ACIA une Entente d'accrÈditation des vÈtÈrinaires qui lui permettait de dÈlivrer des certificats concernant l'anÈmie infectieuse des ÈquidÈs (Coggins) et des certificats d'examen pour l'exportation de chevaux aux …tats-Unis (certificats zoosanitaires). L'accrÈditation du demandeur Ètait valide jusqu'au 29 mars 2004.
5 Le demandeur allËgue que le 3 juillet 2001, il s'est rendu aux Robert MacIntosh Stables pour examiner des chevaux qui devaient participer ‡ des courses en divers lieux des …tats-Unis au cours de la fin de semaine du 4 juillet. On lui a remis des certificats Coggins pour les sept (7) chevaux qu'il devait examiner. Il a notÈ au cours de sa visite qu'un des chevaux qu'il devait examiner, "Yankee Leader", ne se trouvait pas dans sa stalle. Il a appris que Yankee Leader se trouvait ‡ l'UniversitÈ de l'…tat du Michigan pour y recevoir un traitement mÈdical d'urgence. Le demandeur a notÈ ce fait dans son agenda et a poursuivi l'examen des six (6) autres chevaux.
6 Les raisons pour lesquelles Yankee Leader figurait sur la liste des chevaux ‡ examiner et pour lequel il fallait un certificat, alors qu'il se trouvait aux …tats-Unis plutÙt que dans sa stalle, ainsi que toutes les autres circonstances, sont quelque peu complexes et ne sont pas essentielles ‡ la dÈcision qu'il convient de prendre en l'espËce.
7 Le lendemain, le 4 juillet 2001, un reprÈsentant des Robert MacIntosh Stables s'est rendu au bureau du demandeur avec les certificats Coggins correspondant aux chevaux examinÈs par le demandeur la veille, accompagnÈs d'un mÈmo indiquant la destination prÈvue aux …tats-Unis pour chacun des chevaux examinÈs. Le demandeur affirme qu'on avait prÈparÈ sept (7) certificats zoosanitaires pour qu'il les signe. Il y avait parmi ces certificats un certificat pour Yankee Leader. Le demandeur a relu son agenda et a signÈ les sept (7) certificats. Il dÈclare qu'avec le recul, il aurait d˚ Ítre plus minutieux dans son examen et dans son interprÈtation des notes contenues dans son agenda.
8 Les certificats zoosanitaires, y compris celui concernant Yankee Leader, ont ÈtÈ transmis au bureau de district de Windsor de l'ACIA o˘ ils ont ÈtÈ contresignÈs et dÈlivrÈs. Le bureau du demandeur a facturÈ les Robert MacIntosh Stables une somme de 20 $ pour chacun des certificats. L'avantage financier que le demandeur a retirÈ de la dÈlivrance du certificat concernant Yankee Leader est donc minime.
9 L'erreur commise dans la dÈlivrance du certificat zoosanitaire concernant Yankee Leader a ÈtÈ portÈe ‡ l'attention de l'ACIA par les autoritÈs amÈricaines. La Dre Carolyn Small (Dre Small) a ÈtÈ chargÈe de faire enquÍte sur ces faits. Elle a interrogÈ le demandeur. La Dre Small a pu inspecter les dossiers du demandeur, notamment son agenda, ses feuilles de travail et ses factures. Le demandeur affirme qu'il a admis ‡ la Dre Small que le certificat avait ÈtÈ dÈlivrÈ par erreur, une erreur qu'il considÈrait comme une erreur de bonne foi. Dans son rapport, la Dre Small Ènonce que le demandeur [TRADUCTION] "... a reconnu qu'il n'avait pas examinÈ Yankee Leader [le 3 juillet]"1.
10 Le rapport d'enquÍte de la Dre Small a ÈtÈ transmis au Dr Jim Clark, vÈtÈrinaire principal intÈrimaire, Lutte contre les maladies de l'ACIA. Une des responsabilitÈs du Dr Clark consistait ‡ agir au nom de l'ACIA lorsqu'il s'agissait de rÈvoquer les certificats d'accrÈditation.
11 Dans une lettre datÈe du 19 octobre 2001, le Dr Clark a informÈ le demandeur que son accrÈditation avait ÈtÈ suspendue. La lettre du Dr Clark se lit ainsi :
[TRADUCTION] Vous n'avez pas respectÈ les termes et les conditions de l'Entente d'accrÈditation des vÈtÈrinaires lorsque vous avez exercÈ vos fonctions de vÈtÈrinaire accrÈditÈ consistant ‡ dÈlivrer des certificats pour l'exportation et nous considÈrons qu'il s'agit l‡ d'une affaire grave qui compromet la crÈdibilitÈ des certificats d'exportation du bÈtail dÈlivrÈs par l'ACIA.
Par consÈquent, vous Ítes par la prÈsente avisÈ du fait que l'Agence canadienne d'inspection des aliments se propose d'annuler votre accrÈditation et de vous retirer l'autorisation d'exÈcuter des activitÈs ‡ titre de vÈtÈrinaire accrÈditÈ parce que vous n'avez pas exÈcutÈ vos fonctions de vÈtÈrinaire accrÈditÈ conformÈment aux termes et conditions gÈnÈrales de l'Entente d'accrÈditation des vÈtÈrinaires que vous avez signÈe le 16 mars 2001, ...
L'Agence canadienne d'inspection des aliments tiendra une audience ‡ ce sujet, et vous aurez la possibilitÈ de vous faire entendre au sujet du projet d'annulation de votre accrÈditation auprËs de l'Agence canadienne d'inspection des aliments2.
[Nos soulignÈs]
12 Il n'est pas contestÈ que le Dr Clark a demandÈ ‡ son supÈrieur immÈdiat, un cadre de l'ACIA, l'Agence qui se proposait d'annuler l'accrÈditation, de tenir cette audience pour dÈcider s'il y avait lieu de "rÈvoquer" l'accrÈditation du demandeur. Il n'est pas non plus contestÈ que l'audience a ÈtÈ tenue de faÁon trËs informelle, que ceux qui ont "tÈmoignÈ" n'ont pas ÈtÈ assermentÈs, ni formellement interrogÈs ou contre-interrogÈs et qu'il n'existe aucun dossier contenant les documents prÈsentÈs ‡ l'audience, ni mÍme, apparemment, de transcription de l'audience.
13 La demande introductive de la demande de contrÙle judiciaire contient le paragraphe suivant :
[TRADUCTION] Le demandeur demande ‡ l'Agence canadienne d'inspection des aliments d'envoyer une copie certifiÈe des documents suivants qui ne se trouvent pas en la possession du demandeur mais en celle de l'Agence canadienne d'inspection des aliments pour qu'ils soient communiquÈs au demandeur et au greffe : La dÈcision du dÈcideur et tous les documents ‡ l'appui3.
14 L'avocat de l'ACIA a envoyÈ ‡ la Cour une lettre datÈe du 8 mars 2002 qui contenait [TRADUCTION] "... une copie certifiÈe des notes prises par le Dr Tom Wilson [‡ l'audience]". L'avocat prÈcisait :
[TRADUCTION] Ces notes ont ÈtÈ portÈes ‡ notre attention aprËs que nous ayons donnÈ suite ‡ la demande du demandeur au sujet des documents se rapportant ‡ cette affaire et en la possession de l'Agence canadienne d'inspection des aliments.
15 Par consÈquent, le seul dossier certifiÈ du "Tribunal" et de l'audience qui a ÈtÈ prÈsentÈ ‡ la Cour comprend les notes manuscrites du dÈcideur. Ces notes n'apportent aucune lumiËre sur les documents prÈsentÈs ‡ l'audience.
LA D…CISION ATTAQU…E
16 La teneur de la dÈcision attaquÈe, intitulÈe "Rapport du dÈcideur", est briËvement rÈsumÈe ci-dessus dans les prÈsents motifs. En voici un rÈsumÈ plus dÈtaillÈ.
17 Le dÈcideur note que le demandeur, son avocat et un tiers indÈpendant, M. MacDonald, transporteur de chevaux pour les Robert MacIntosh Stables, ont assistÈ ‡ l'audience avec les Drs James Clark et Carolyn Small, ces deux derniËres personnes reprÈsentant l'ACIA. Les motifs figurant dans le rapport montrent que le Dr Clark a fourni des copies des [TRADUCTION] "... documents concernant l'affaire", documents qui avaient ÈtÈ transmis auparavant au demandeur "... pour l'aider ‡ se prÈparer pour l'audience". La nature de ces documents n'est pas prÈcisÈe dans le rapport. Cela dit, le Dr Clark a tÈmoignÈ au sujet de ces documents et dÈclarÈ qu'ils comprenaient le rapport d'enquÍte de la Dre Carolyn Small. Il est Ègalement mentionnÈ que l'Entente d'accrÈditation des vÈtÈrinaires signÈe par le demandeur a ÈtÈ Ègalement prÈsentÈe ‡ l'audience.
18 Les circonstances ayant prÈcÈdÈ l'audience sont trËs rapidement rÈsumÈes dans les motifs. Ils contiennent un rÈsumÈ de l'"exposÈ" prÈsentÈ par le demandeur et son avocat mais le fait que M. MacDonald ait pris la parole n'est pas mentionnÈ. J'hÈsite ‡ qualifier ces exposÈs de "tÈmoignages" ou d'"observations". Il est notÈ que le demandeur a dÈclarÈ qu'il avait commis une "erreur matÈrielle" lorsqu'il avait prÈparÈ et signÈ le certificat concernant Yankee Leader.
19 Sous la rubrique "Conclusions" du rapport, il est notÈ que :
[TRADUCTION]
- Le Dr Fetherston [le demandeur] n'a contestÈ aucun des documents remis ni aucune des dÈclarations figurant dans le rapport d'enquÍte de la Dre Small du 8 ao˚t 2001.
20 Le dÈcideur a formulÈ de la faÁon suivante sa conclusion :
Le Dr Robert M. Fetherston a violÈ les conditions de l'article 10 de l'Entente d'accrÈditation en signant un certificat zoosanitaire d'exportation sans avoir effectuÈ l'examen prÈvu.
Cette conclusion se fonde sur les documents transmis et les dÈclarations faites qui indiquent ce qui suit :
- Le Dr Fetherston n'a pu examiner Yankee Leader le 3 juillet parce que ce cheval se trouvait ‡ la MSU [UniversitÈ de l'…tat de Michigan].
- Le Dr Fetherston avait l'intention de prÈparer un certificat zoosanitaire d'exportation pour Yankee Leader comme l'indique ses dossiers et les explications concernant ces certificats.
- Le Dr Fetherston a prÈparÈ le certificat zoosanitaire en sachant que le cheval se trouvait ‡ la MSU, tel que mentionnÈ dans le rapport du 8 ao˚t du Dre Small.
[Non soulignÈ dans l'original.]
21 Le corps du rapport suivait et il est rÈsumÈ dans l'"Introduction" de ces motifs. Les parties ci-dessus du rapport Ètaient alors suivies des "commentaires" suivants :
[TRADUCTION]
Les constatations faites sont incompatibles avec la commission d'une erreur matÈrielle. Il est essentiel de prendre des notes exactes de faÁon ‡ Èviter les erreurs lorsque le vÈtÈrinaire procËde ‡ des inspections en vue de dÈlivrer des certificats d'exportation dans une Ècurie o˘ il y a un grand nombre de chevaux, d'entraÓneurs et d'employÈs. Dans cette affaire, la faÁon dont les notes ont ÈtÈ prises laisse ‡ penser qu'il faut dÈlivrer un certificat pour chaque cheval mÍme si celui-ci ne se trouve pas dans l'Ècurie.
La personne qui exerce une fonction rÈglementaire doit placer les obligations associÈes ‡ cette fonction au-dessus de toutes les autres. En respectant cette norme, un vÈtÈrinaire accrÈditÈ Èvite de prendre des mesures qui pourraient compromettre la crÈdibilitÈ du processus de certification. La dÈlivrance d'un certificat pour Yankee Leader a fait disparaÓtre la nÈcessitÈ d'examiner, d'inspecter et de certifier ce cheval aux …tats-Unis mais cela a Ègalement ouvert la porte ‡ l'introduction des maladies infectieuses des ÈquidÈs au Canada.
Il faut protÈger la rÈputation internationale de l'Agence canadienne d'inspection des aliments en matiËre d'intÈgritÈ du processus de certification des animaux si l'on veut prÈserver l'accËs aux marchÈs Ètrangers. Les gestes du Dr Fetherston ont compromis cette intÈgritÈ. La rÈvocation du pouvoir qu'avait le Dr Fetherston d'exercer les fonctions de vÈtÈrinaire accrÈditÈ constitue une mesure qui nous paraÓt appropriÈe. Cette mesure est conforme ‡ celle qu'a dÈj‡ prise l'Agence dans des situations semblables.
La situation qui est dÈcrite ici porte sur le fait que le Dr Fetherston ne s'est pas acquittÈ de ses responsabilitÈs en matiËre de rÈglementation mais elle soulËve peut-Ítre Ègalement une question concernant le respect de ses responsabilitÈs professionnelles, aspect qui devrait Ítre examinÈ par ses pairs4.
LES QUESTIONS EN LITIGE
22 Aucun des avocats n'a abordÈ dans ses observations Ècrites la question de la norme de contrÙle. Lorsque cette question a ÈtÈ soulevÈe par le tribunal au dÈbut de l'audience et que celui-ci a suggÈrÈ que dans le cas d'une analyse "pragmatique et fonctionnelle", la norme appropriÈe Ètait celle du caractËre raisonnable simpliciter des questions de fait, aucun des avocats ne s'y est opposÈ.
23 L'avocat du demandeur a prÈsentÈ ‡ la Cour les questions en litige de la faÁon suivante : premiËrement, la question de savoir si les circonstances ayant entourÈ l'audience qui a dÈbouchÈ sur la dÈcision attaquÈe et, en particulier, les rapports existants entre le Dr Jim Clark, qui a suspendu la certification du demandeur et dÈclenchÈ le processus qui a dÈbouchÈ sur la dÈcision attaquÈe, et le dÈcideur, soulËve un risque raisonnable de partialitÈ; deuxiËmement, la question de savoir si le processus utilisÈ pour l'audience a entraÓnÈ une violation de la justice naturelle; et enfin, la question de savoir si les motifs ‡ la base de la dÈcision attaquÈe comporte des insuffisances telles qu'elles constituent une erreur susceptible de rÈvision.
ANALYSE
a) La crainte raisonnable de partialitÈ
24 Le critËre ‡ utiliser pour dÈterminer s'il existe une crainte raisonnable de partialitÈ n'a pas ÈtÈ contestÈ. Dans l'arrÍt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'…nergie)5, le juge de GrandprÈ, parlant au nom de la minoritÈ a Ècrit ‡ la page 394 :
La Cour d'appel a dÈfini avec justesse le critËre applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage prÈcitÈ, la crainte de partialitÈ doit Ítre raisonnable et le fait d'une personne censÈe et raisonnable qui se poserait elle-mÍme la question et prendrait les renseignements nÈcessaires ‡ ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critËre consiste ‡ se demander "‡ quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignÈe qui Ètudierait la question en profondeur, de faÁon rÈaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le dÈcideur], consciemment ou non, ne rendra pas une dÈcision juste?
25 L'avocat du demandeur nous invite ‡ donner une rÈponse affirmative ‡ la question posÈe par le juge de GrandprÈ, compte tenu des faits de l'espËce. Il signale que le Dr Clark, la personne qui a dÈcidÈ de suspendre le demandeur, qui a dÈclenchÈ le processus dÈbouchant sur l'audience et sur la dÈcision contestÈe et qui a prÈsentÈ le point de vue de l'ACIA ‡ l'audience, et le dÈcideur, Ètaient tous deux des employÈs de l'ACIA et que le Dr Clark Ètait le subordonnÈ direct du dÈcideur. En fait, il a nommÈ son propre supÈrieur au poste de dÈcideur. En outre, le Dr Clark, dans la lettre dans laquelle il informait le demandeur de la suspension de son accrÈditation, informait Ègalement le demandeur que l'ACIA, son employeur ainsi que celui du dÈcideur, "... se proposait d'annuler votre accrÈditation..."
26 Dans MacBain c. Commission canadienne des droits de la personne6, le juge Heald, parlant au nom de la Cour a Ècrit ce qui suit ‡ la page 129 aprËs avoir citÈ le passage des motifs du juge de GrandprÈ que nous venons de citer ici :
La seconde importante distinction factuelle qui s'impose entre l'affaire Valente et l'espËce a trait ‡ la distinction qui doit Ítre faite entre l'indÈpendance en matiËre d'administration (qui, ainsi que nous l'avons vu, n'existe pas totalement ‡ l'heure actuelle) et l'indÈpendance en matiËre de dÈcision qui, selon moi, constitue un composant essentiel de l'indÈpendance judiciaire et de la bonne administration de la justice. L'indÈpendance en matiËre de dÈcision comprend nÈcessairement des questions telles la prÈparation des rÙles, la dÈcision sur l'ordre d'appel des causes, l'affectation des juges aux diverses causes et la dÈsignation des salles d'audience. Le juge en chef DeschÍnes classe ces ÈlÈments sous le titre "gÈrance des rÙles". Voici d'ailleurs ses commentaires... :
Il s'agit l‡ d'ÈlÈments qui conditionnent l'intÈgritÈ du processus judiciaire lui-mÍme. On en laisse le contrÙle ‡ des tiers, fonctionnaires du gouvernement ou autres, et l'on verra bientÙt un juge particulier affectÈ ‡ une cause particuliËre, pour des motifs inavouables. L'indÈpendance de la magistrature exige absolument qu'elle et elle seule, gËre et contrÙle le mouvement des causes au rÙle d'audience et l'affectation des juges qui les entendront.
¿ mon avis, ces commentaires sont particuliËrement pertinents en ce qui concerne la constitution d'un tribunal en vertu de cette Loi [Loi canadienne sur les droits de la personne]. Face ‡ un mÈcanisme o˘ se retrouvent les deux caractÈristiques rÈprÈhensibles examinÈes par le juge en chef DeschÍnes, prÈcitÈ, c'est sans aucune hÈsitation que j'en viens ‡ la conclusion qu'une personne bien renseignÈe qui Ètudierait la question en profondeur, de faÁon rÈaliste et pratique, conclurait qu'il y a, en l'espËce, crainte raisonnable de partialitÈ en vertu du prÈsent mÈcanisme.
27 Dans MacBain, la Cour Ètait saisie d'un cas o˘ la Commission canadienne des droits de la personne s'Ètait prononcÈe sur une plainte avant qu'une enquÍte ait ÈtÈ faite et avait choisi le juge ‡ temps partiel qui constituerait la formation du Tribunal canadien des droits de la personne chargÈe d'entendre la plainte et devant lequel la Commission allait dÈfendre sa position selon laquelle sa dÈcision antÈrieure Ètait correcte. ¿ la page 132 des motifs, le juge Heald a dÈclarÈ :
Ce mÈcanisme auquel a recours la Commission revient ‡ faire justifier aprËs coup, par des juges qu'elle a elle-mÍme choisis, une dÈcision qu'elle a dÈj‡ prise.
28 Je suis convaincu que les termes utilisÈs par le juge Heald s'appliquent tout ‡ fait aux faits de l'espËce. Le Dr Clark a conclu que les faits dont il disposait justifiaient la suspension, et mÍme l'annulation, de l'accrÈditation du demandeur. Pour l'essentiel, il Ètait manifestement convaincu que les faits prÈsentÈs justifiaient la suspension et, se faisant apparemment le porte-parole de son employeur et de l'Èventuel dÈcideur, l'annulation. Il a ensuite choisi le "juge". Il a choisi comme "juge" son propre supÈrieur. Il a ensuite prÈsentÈ les arguments de l'ACIA devant le "juge".
29 L'avocat de l'ACIA soutient que, quelle que puisse Ítre la conclusion sur ce point, la dÈcision contestÈe ne devrait pas Ítre annulÈe en raison d'une crainte raisonnable de partialitÈ parce que l'argument de la partialitÈ n'a pas ÈtÈ soulevÈ au dÈbut de l'audience tenue par le dÈcideur, ni mÍme ‡ aucun moment pendant cette audience, mais uniquement aprËs que la dÈcision contestÈe ait ÈtÈ publiÈe et au moment o˘, peu aprËs, la demande de contrÙle judiciaire a ÈtÈ introduite. Je rejette cet argument.
30 Il n'existe aucune base lÈgislative ou rÈglementaire qui dÈcrive le processus ‡ utiliser pour prendre une dÈcision comme celle qui est examinÈe ici. En outre, il n'existe absolument aucune restriction au pouvoir discrÈtionnaire d'une personne comme le Dr Jim Clark de choisir la personne chargÈe de prÈsider l'audience qui doit dÈboucher sur cette dÈcision. Le demandeur et son avocat se sont rendus ‡ l'audience sans savoir qui serait le dÈcideur et certainement sans savoir, ou avoir des motifs de croire, que le dÈcideur serait un dirigeant de l'ACIA et le supÈrieur hiÈrarchique immÈdiat du Dr Clark. Dans les circonstances, il aurait ÈtÈ trËs difficile de s'attendre ‡ ce que le demandeur et son avocat commencent, dËs le dÈbut de l'audience, ‡ contre-interroger le dÈcideur pour dÈterminer s'il existait une crainte raisonnable de partialitÈ et ensuite exprimer une objection s'ils n'avaient pas ÈtÈ satisfaits des rÈsultats du contre-interrogatoire.
31 Par consÈquent, sur cette seule question, je suis convaincu que la dÈcision contestÈe doit Ítre annulÈe. Je vais nÈanmoins traiter briËvement des deux autres questions soulevÈes pour le compte du demandeur.
b) Violation de la justice naturelle ou de l'obligation d'agir de faÁon Èquitable
32 Dans Murray c. Canada (Ministre de l'Agriculture)7, le juge Strayer, de la Section de premiËre instance de notre Cour ‡ l'Èpoque, a Ècrit ‡ la page 2 :
¿ supposer qu'il existe une exigence d'ÈquitÈ, ce que j'accepte, je reconnais que, d'une part, nous sommes dans un cas qui concerne la vie professionnelle d'un vÈtÈrinaire, le Dr Murray et que, d'autre part, la dÈcision sur l'agrÈment a une importance considÈrable pour lui, non seulement parce qu'il tire une grande partie de son revenu des activitÈs d'inspection, mais aussi ‡ cause des rÈpercussions potentielles que cette dÈcision aurait pour lui, sans sa propre profession. Je prÈsume ici, bien entendu, que si une dÈcision nÈgative Ètait finalement rendue sur l'agrÈment du Dr Murray, dans d'autres instances en vertu de la Loi, son organisme professionnel traiterait toute la question ‡ nouveau et n'accepterait pas d'office une dÈcision du ministËre de l'Agriculture comme une dÈcision pÈremptoire en matiËre professionnelle. NÈanmoins, il s'agit d'une dÈcision importante pour Dr Murray et, par consÈquent, le ministËre se doit d'Ítre prudent dans la matiËre dont il traite l'annulation de l'agrÈment.
Par ailleurs, une question importante se pose, eu Ègard ‡ la santÈ publique et ‡ la rÈputation du Canada dans l'exportation de bÈtail. Le fait de ne pas bien faire l'inspection d'animaux exportÈs peut avoir, je prÈsume, une incidence importante sur la santÈ des habitants d'autres pays, sur la santÈ du bÈtail dans les autres pays et, en fin de compte, sur la rÈputation du Canada en tant que pays exportateur de bÈtail. En droit administratif, une jurisprudence considÈrable permet de dire qu'en matiËre de sÈcuritÈ ou de santÈ publique, les exigences de l'ÈquitÈ doivent parfois Ítre rÈduites afin de permettre que des mesures rapides soient prises en temps opportun pour protÈger les intÈrÍts du public. Lorsqu'il s'agit d'un conflit entre l'intÈrÍt privÈ d'une ou de deux personnes, et la santÈ publique en gÈnÈral, ou le bien-Ítre du public en gÈnÈral, il peut Ítre nÈcessaire de prendre des mesures rapides sans suivre toutes les formalitÈs qui caractÈrisent la procÈdure Èquitable, mÍme si un autre examen est requis par la suite, une fois que l'aspect de la sÈcuritÈ est protÈgÈ par une action provisoire.
[Non soulignÈ dans l'original.]
33 On pourrait dire exactement la mÍme chose ‡ propos des faits de l'espËce ‡ la diffÈrence qu'ici, la question est celle du transport de chevaux entre les …tats-Unis et le Canada plutÙt que l'exportation de bÈtail. Comme le juge Strayer, compte tenu des rÈpercussions pour des personnes comme le demandeur, je reconnais qu'il existe une exigence d'ÈquitÈ en faveur de ce dernier.
34 J'ai beaucoup de difficultÈ ‡ conclure que le processus utilisÈ ‡ l'endroit du demandeur respectait l'obligation d'ÈquitÈ ‡ laquelle il avait droit. Comme cela a ÈtÈ notÈ plus haut, le processus susceptible de dÈboucher sur des dÈcisions comme la dÈcision attaquÈe n'est pas encadrÈ par des dispositions lÈgislatives ou rÈglementaires et les personnes comme le demandeur et son avocat doivent donc finalement deviner comment elles devraient conduire leur "dÈfense". Comme je l'ai Ègalement indiquÈ ci-dessus, aucun dossier du tribunal n'a ÈtÈ constituÈ. Aucune liste de piËces n'a ÈtÈ dressÈe. L'audience qui a ÈtÈ conduite n'Ètait pas le moindrement structurÈe. La Dre Small Ètait prÈsente ‡ l'audience et il semble que son rapport d'enquÍte ait ÈtÈ remis au dÈcideur, mais elle n'a pas fait d'exposÈ et le demandeur et son avocat n'ont pas eu la possibilitÈ de l'interroger, encore moins de la contre-interroger, au sujet de ses conclusions, en particulier sur celles qui portaient sur les motifs qui ont poussÈ le demandeur ‡ agir comme il l'a fait.
35 L'avocat du demandeur soutient qu'aucune structure formelle n'est nÈcessaire et que la nature de l'intÈrÍt public en jeu, comme l'a mentionnÈ le juge Strayer, est telle qu'il justifie que l'on utilise un processus informel et accÈlÈrÈ conduit par une personne, comme le dÈcideur ici, qui comprend le rÈgime lÈgislatif mis en place par la Loi sur la santÈ des animaux8 et les rËglements connexes.
36 L'argument basÈ sur l'absence de formalitÈs, l'urgence et l'expertise particuliËre des membres de l'ACIA n'est pas convaincant. Les pouvoirs du demandeur ont ÈtÈ suspendus et il n'est pas contestÈ que le Dr Clark possÈdait le pouvoir de mettre en oeuvre cette suspension. Les arguments justifiant le choix d'un dÈcideur comme celui qui a ÈtÈ choisi ici n'ont pas ÈtÈ complËtement dÈveloppÈs. Il n'existe aucune preuve prÈsentÈe ‡ la Cour qui indique qu'il y avait une pÈnurie de tiers indÈpendants capables de conduire des audiences comme celle qui a dÈbouchÈ sur la dÈcision attaquÈe.
37 Compte tenu de la conclusion ‡ laquelle je viens d'arriver au sujet de la crainte raisonnable de partialitÈ, je ne me prononce pas sur la violation de la justice naturelle, ni sur l'ÈquitÈ; j'invite toutefois la dÈfenderesse ‡ rÈexaminer sa faÁon de procÈder ‡ l'Ègard des questions comme celle qui est examinÈe ici.
c) CaractËre suffisant des motifs
38 L'avocat du demandeur soutient que le dÈcideur n'a tenu aucun compte des explications du demandeur selon lesquelles il avait commis une "erreur administrative" et l'a donc jugÈ non digne de foi lorsqu'il a conclu que le demandeur "avait l'intention" de prÈparer un certificat zoosanitaire pour Yankee Leader et avait prÈparÈ le certificat zoosanitaire "sachant" que Yankee Leader se trouvait ‡ l'extÈrieur du Canada. L'avocat soutient que les motifs avancÈs ‡ l'appui de cette conclusion sont tout ‡ fait insuffisants.
39 Dans Hilo c. (Canada) Ministre de l'Emploi et de l'Immigration9, le juge Heald, parlant au nom de la Cour, a citÈ le passage suivant des motifs de la dÈcision qui lui Ètait soumise
Le tÈmoignage du revendicateur Ètait insuffisamment dÈtaillÈ et parfois incohÈrent. Ce dernier a souvent ÈtÈ incapable de rÈpondre aux questions et a parfois semblÈ peu intÈressÈ ‡ le faire. Cela peut Ítre d˚ en partie ‡ son jeune ‚ge, mais le tribunal n'a pas ÈtÈ pleinement convaincu de sa crÈdibilitÈ en tant que tÈmoin.
40 Ces explications sont certainement beaucoup plus dÈtaillÈes que celles qu'a fournies le dÈcideur sur ce point.
41 Le juge Heald a Ècrit au paragraphe [6] de ses motifs :
L'appelant est la seule personne qui a tÈmoignÈ verbalement devant la Commission; ce tÈmoignage n'a pas ÈtÈ contredit. Les seules observations concernant sa crÈdibilitÈ figurent dans le bref passage citÈ ci-dessus, dont l'ambiguÔtÈ rend la situation difficile. En effet, le tribunal ne rejette pas catÈgoriquement le tÈmoignage de l'appelant mais semble douter de la crÈdibilitÈ de ce dernier. Selon moi, la Commission se trouvait dans l'obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crÈdibilitÈ de l'appelant...
42 Le conseil qui prÈcËde mÈrite d'Ítre examinÈ de prËs par les dÈcideurs comme celui qui a prononcÈ la dÈcision attaquÈe ici. Le demandeur a prÈsentÈ sa version des faits au dÈcideur. Cette version Ètait apparemment confirmÈe, sur plusieurs aspects, par la version qui avait ÈtÈ fournie ‡ l'audience par un tÈmoin, un tiers indÈpendant. Le Dr Clark a prÈsentÈ le point de vue de l'ACIA. Il dÈclare dans son affidavit :
[TRADUCTION] J'ai examinÈ [‡ l'audience] les faits de l'affaire pour le dÈcideur. La plupart des faits sur lesquels je me suis fondÈ sont tirÈs directement du rapport de la Dre Small.
43 La Dre Small, comme nous l'avons notÈ plus haut, a assistÈ ‡ l'audience mais n'a pas prÈsentÈ d'exposÈ et n'a pas ÈtÈ interrogÈe. Le dÈcideur a sans doute conclu qu'il prÈfÈrait la version et l'interprÈtation des ÈvÈnements fournis par la Dre Small aux explications fournies par le demandeur. Le dÈcideur n'a pas expliquÈ cette prÈfÈrence, lorsqu'il a pris une dÈcision qui risquait d'avoir un effet dÈvastateur sur la capacitÈ du demandeur de subvenir ‡ ses besoins dans la profession qu'il avait choisie.
44 Si j'Ètais tenu de le faire, je conclurais que les motifs de la dÈcision attaquÈe sont tellement insuffisants qu'ils constituent une erreur susceptible d'Ítre rÈvisÈe.
CONCLUSION
45 Pour les motifs qui prÈcËdent, la demande de contrÙle judiciaire sera accueillie. La dÈcision attaquÈe sera annulÈe et l'affaire renvoyÈe ‡ l'ACIA pour nouvel examen, et si elle l'estime appropriÈ, pour nouvelle dÈcision compatible avec les prÈsents motifs. L'ACIA devra aviser immÈdiatement le College of Veterinarians of Ontario de cette dÈcision et lui fournir une copie des prÈsents motifs et de l'ordonnance connexe.
46 Il n'y aura pas d'ordonnance quant aux dÈpens.
Traduction certifiÈe conforme : Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
cp/e/qw/qlspg
1 Dossier de la dÈfenderesse, onglet 10, page 26.
2 Dossier de la dÈfenderesse, page 11.
3 Dossier du demandeur, volume 1, page 6.
4 Dossier du demandeur, volume 1, pages 29 et 30.
5 [1978] 1 R.C.S. 369.
6 (1985), 22 D.L.R. (4th) 119 (C.A.F.).
7 [1991] A.C.F. no 1324 (Q.L.), (C.F. 1re inst.).
8 L.C. 1990, ch. 21.
9 (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.), non mentionnÈ devant la Cour, mais auquel la Cour s'est rÈfÈrÈe, sans faire de renvoi, au cours de l'audience.